La 2ème vieille ville, un projet utopique ?

La presse s’est fait l’écho d’un projet pour le site de l’Hôpital Beaumont. Stefan Rüber, Président des Vert.e.s.  Biel-Bienne partage les réflexions, les principes et les souhaits du groupe de travail des Vert.e.s autour de ce projet.

Quels sont les différents aspects et questions qui se posent autour de ce projet? 

La mise en œuvre de cette idée n’est pas encore très avancée et le débat ne fait que commencer. Mais en tout premier lieu, la Ville doit acheter le site de l’hôpital actuel après son déménagement. Si elle en est propriétaire, elle a son mot à dire sur son aménagement. Ensuite vous avez besoin de règles pour le développement ultérieur. L’idée est qu’il y ait le moins de règles possible. Une vieille ville se développe au fil du temps et en fonction des besoins des usagers.

Comment vois-tu l’utilisation de ces espaces gigantesques?

Pourquoi l’appelle-t-on « la 2ème vieille ville de Bienne » ce n’est pas parce qu’elle est ancienne, elle ne date pas du moyen-âge, mais parce que cela se réfère au processus d’utilisation. Cela signifie que c’est l’utilisation qui va guider le développement au fur et à mesure et ce n’est pas un projet qui va le déterminer pour les 50 prochaine années. Ainsi, ce sont les utilisateurs futurs qui vont définir le développement du site.

Vous voulez que cet espace soit mis en utilisation intermédiaire? 

Exactement! Ce ne sera ni le Conseil municipal, ni le Conseil de Ville qui déciderons comment cet espace sera utilisé à l’avenir. Ce seront les gens, avec leurs besoins différents, qui y installeront des activités via une utilisation intermédiaire. Ainsi, avec le temps le site se développera.

Quels seraient selon vous les besoins principaux à couvrir?

Il me semble évident qu’il faudra avoir des logements, les gens pourront habiter là-haut. Pour moi, c’est très clair. Ensuite tout dépend de ce que l’on peut faire avec le bâtiment tel qu’il est. Par exemple la gastronomie ne peut pas manquer dans un tel quartier, il faut des commerces. Il peut y avoir des personnes qui souhaitent installer des ateliers, une crèche me semble indispensable et pourquoi pas un fitness, ou encore un espace de coworking. Il faut les services de base et les utilisateurs décideront de ce qu’ils veulent. C’est le principe de l’utilisation intermédiaire. Les « entrepreneurs » doivent pouvoir facilement essayer, voir si leur projet fonctionne, sans risques financiers majeures.

Ce projet doit être écologiquement inattaquable. Quels sont les défis du point de vue de l’écologie?

Un des principes que nous défendons est qu’il ne faut pas détruire ce qui a été construit.  Il y a beaucoup d’énergie grise dans ces bâtiments, donc les détruire pour construire à nouveau, n’est écologiquement pas optimal. C’est un des principes que nous défendons, garder les bâtiments là où ils font sens et c’est possible. D’autre part, il faut, comme partout produire de l’énergie, et on peut constater qu’il y a de bonnes possibilités pour le photovoltaïque sur les toits et sur les façades. Au niveau de la mobilité, l’arrêt Hôpital du Funi Evilard est à 100 mètres et il y a également 2 lignes de bus. On prévoit une diminution du trafic motorisé, car il n’y aura plus les places de travail de l’hôpital, qui est un gros employeur. L’assainissement des bâtiments se fera en fonction des utilisations.

Pour avoir une chance, ce projet doit devenir populaire, comment pensez-vous le rendre populaire? Avez-vous cherché des alliances?

Nous n’avons pas encore d’alliances très concrètes, ni de Marketing. Il y a eu jusqu’à présent quelques articles dans les médias et le discours politique manque encore. Nous avons déposé un postulat au Conseil de ville pour savoir ce que pense ou prévoit le Conseil municipal, la réponse viendra en mars 2024 probablement. L’expérience nous montre que les grands projets ont toujours davantage de peine de passer, tant devant le parlement que devant la population, d’où l’intérêt de notre concept. Une autre raison est peut-être que les biennoise et biennoises souhaitent participer, mais ça n’est pas simple. L’idée de laisser faire les gens, de leur donner l’opportunité de faire des expériences est attirante et peut rendre ce projet populaire. Trouver des alliés en dehors de parlement sera la prochaine étape. Et nous attendons ce qui diront les parlementaires sur notre idée lors de la réponse au postulat. Pour un tel projet, il faut tisser des alliances larges c’est clair.

Interview:
Claire Magnin




La santé à l’américaine?

Enfin un regard critique sur le projet Réseau de l’Arc que l’on nous concocte dans la plus parfaite opacité.  Swiss Medical Network , membre de la  multinationale Avis, Visana une des plus grande caisse maladie et le Canton de Berne proposent d’un seul élan, un modèle révolutionnaire en matière de santé, rien de moins. Mais qu’en est-il vraiment?

Le Réseau de l’Arc se présente comme la révolution du système de santé suisse. Il réunit le plus gros groupe de cliniques privées suisses, Swiss Medical Network (SMN), l’assurance maladie Visana et le canton de Berne et propose un nouveau modèle de financement des soins dans l’Arc jurassien. Cette petite famille a accouché de « VIVA que celle-ci», une « nouvelle » forme d’assurance maladie, ou plutôt d’assurance santé. Soins intégrés, prévention, primes plus basses, comment résister à cette belle histoire?
Surtout que celle-ci commence avec des critiques pertinentes de notre système de santé. C’est vrai, les hôpitaux sont incités à offrir toujours plus de prestations et de traitements, ce qui contribue à augmenter les coûts de santé, sans forcément apporter de bénéfice clair à la population. Les primes des assurances maladie représentent une charge toujours plus lourde, impayable pour une grande partie de la population, avec environ 30 % de celle-ci qui ne peut s’en sortir sans subsides d’État pour les payer. Ainsi les contribuables paient le coût d’un système dysfonctionnel qui continue à profiter au secteur des assurance complémentaires privées. La prévention et promotion de la santé ne représente que 2 à 3 % des coûts du système de santé.

La recette : des prestations minimalistes et les « bons risques »

Si les constats sont justes, pourquoi la solution proposée ne l’est-elle pas? Il y a plusieurs problèmes importants. Une assurance santé entre dans le capital-action d’un réseau d’hôpitaux et de prestataires de soins. En devenant actionnaire, l’assurance participe aux décisions stratégiques. L’assureur devient quelque part « l’employeur » des prestataires de soins, ce qui crée un conflit d’intérêt majeur. L’intérêt d’une assurance santé est-elle la même que celle d’un-e patient-e? Dans de nombreux cas la réponse est non, et cela peut mettre les médecins et personnels de santé dans une situation délicate. Si dans le modèle actuel, un hôpital peut être tenté d’offrir le maximum de soins par les incitations financières, dans ce modèle alternatif, il est tenté d’en offrir le minimum. Le réseau a intérêt à trouver des «bons risques», c’est à dire des personnes en bonne santé, avec quelques prestations de prévention bon marché pour tenter de les maintenir en bonne santé. Pour les malades coûtant trop cher au système, il y aura un intérêt à les faire sortir de ce modèle. A offrir des conditions défavorables pour qu’ils changent de caisse.

Risque monopolistique?

Renverser les incitations pour aboutir à un système pire encore? L’argument utilisé comme garant de la qualité, disant que si les patient-e-s ne sont pas contents, ils n’ont qu’à changer de caisse, ne garantit aucune qualité. Malgré cela, le groupe aura une situation de quasi-monopole dans une région où les médecins généralistes et prestataires de soins viennent cruellement à manquer. Ce sera peut-être bientôt le seul moyen d’avoir un accès garanti à un médecin de famille. Un monopole privé de la santé, qui considère votre santé comme un capital sur lequel elle peut tirer des bénéfices. C’était d’ailleurs un des principaux arguments lors de la votation de juin 2012, ayant abouti au rejet à plus de 76 % d’une proposition de loi visant déjà à mettre en place des réseaux de soins – pour l’originalité et l’innovation on repassera.

Alors, santé à l’américaine?

A-t-on vraiment besoin de big money et de financiers hors-sols pour résoudre nos problèmes de santé publique? SMN appartient en majorité à Aevis Victoria, un groupe actif dans l’hôtellerie de luxe, l’immobilier et les cliniques privées. Le groupe a récemment vendu 10 % de son capital à Medical Properties Trust, un des plus grands propriétaires de cliniques privées aux États-Unis. Rappelons le désastre du système de santé américain, qui a abouti ces dernières années et pour la première fois dans un pays industrialisé à une baisse de l’espérance de vie! Est-ce vraiment l’exemple à suivre, la révolution qui nous sauvera?
Et c’est sans compter les conditions de travail pour les personnels de santé, dont on manque cruellement partout. Kaiser Permanente, l’exemple sur lequel se base le réseau de l’Arc, a causé une grève historique aux États-Unis, la plus large rapportée dans le domaine de la santé, pas plus tard qu’en octobre de cette année! Les syndicats dénonçaient notamment des pratiques de travail abusives, la sous-traitance et l’externalisation, la pénurie de personnel et la sécurité des patient-e-s et du personnel.

La santé, un service public à réinvestir de toute urgence

Le public se désinvestit et laisse des trous béants dans notre couverture santé que le privé s’empresse de remplir. Notre système de santé est malade, il faut une réforme en profondeur, il faut le révolutionner. Ne nous laissons pas abuser pas le marketing de l’innovation et de la soi-disant modernité : nous avons beaucoup à perdre à abandonner notre santé à des méga-groupes privés. Pour eux, notre santé est un produit, quoi qu’ils disent. C’est au public, aux citoyens de se mobiliser pour investir intelligemment dans la santé et répondre aux problèmes de notre temps dans l’intérêt de la population. En créant une caisse maladie publique et unique, une vraie politique de prévention, une meilleure connexion entre les acteurs de santé. En finançant correctement les hôpitaux et en investissant dans le personnel de soin. Ce que propose le Réseau de l’Arc n’est pas une révolution, c’est un mirage, un coup financier, une monétisation de la santé qui comporte des risques pour la qualité de la couverture de soin et ne réduira pas les coûts.

Texte:
Maurane Riesen, La Neuveville, Députée au Grand Conseil bernois depuis 2018, membre du Conseil du Jura bernois, docteure en épidémiologie. Travaille à l’Office fédéral de l’environnement sur des sujets de santé publique. Membre du SSP et vice -présidente du PS bernois.

Illustration:
Andreas Bachmann




«Ce patrimoine doit, autant que possible, être préservé et valorisé »

Le comité réUsine est engagé pour la préservation des différents bâtiments industriels à Bienne. Il a interpellé la Ville avec un postulat interpartis pour que celle-ci s’engage résolument et agisse afin d’élaborer les adaptations légales nécessaires. Qu’en est-il aujourd’hui?

La question de la préservation du patrimoine industriel a été débattue par les autorités municipales, suite le dépôt d’un postulat, demandant au Conseil municipal de donner ses réflexions et la manière dont il entend s’engager pour cette matière.

Quelle est la position de la ville concernant cette demande?

Julien Steiner, vice-chancelier de la Ville : «Les autorités municipales partagent l’avis selon lequel la ville de Bienne est marquée par son passé et présent industriel et que ce patrimoine industriel constitue la base des valeurs biennoises, c’est-à-dire une ville innovante et ouvrière, ouverte au monde, tant par ses exportations que par ses habitantes et habitants. De nombreux bâtiments industriels, usines, manufactures horlogères et halles, certains centenaires et d’autres très récents, jalonnent le paysage urbain. En leurs murs, des femmes et des hommes issus de tous horizons ont produit au fil des décennies des pièces en métal, des pièces microscopiques, des voitures, des montres. Certains bâtiments sont restés, ont été revalorisés et réaménagés, d’autres ont fait place à de nouveaux projets. Ce patrimoine doit, autant que possible, être préservé et valorisé».

Comment se concrétise cette volonté de préservation des bâtiments ? Quels obstacles à cette politique?

Julien Steiner : «Plusieurs rencontres ont eu lieu avec le comité de reUsine, au cours desquelles l’importance du passé industriel de Bienne et la nécessité, au regard des nouveaux enjeux climatiques, de réutiliser au maximum le bâti existant ont été soulignées. Mais il a aussi été rappelé le cadre législatif suisse en matière de droit de construction et l’importance que celui-ci donne aux propriétaires privés. L’autorité communale ne peut en effet pas éviter la démolition d’un bâtiment qui n’est pas protégé au niveau cantonal.»

Quelles vont être les premières mesures qui seront prises pour donner une base à cette volonté de sauvegarde du patrimoine biennois?

Julien Steiner :  «Sur la base de ces constats, il a été convenu d’établir une charte formalisant d’une part les objectifs de conservation de l’héritage industriel construit et, d’autre part, un engagement commun de l’ensemble des acteurs du développement urbain. Le but est qu’elle soit signée non seulement par la Ville de Bienne et reUsine, mais également par les propriétaires privés, les architectes et constructeurs locaux, etc. Elle doit aussi servir d’instrument de communication/sensibilisation et de ligne directrice pour le développement de projets».

Et comment la ville pense-t-elle convaincre les propriétaires et tous les professionnels de la construction à préserver le patrimoine industriel?

Julien Steiner : «Il est toutefois important de souligner que la seule signature d’une charte ne suffira pas à atteindre les objectifs qui y figurent. Pour y parvenir, il faudra mener un important effort de lobbying, non seulement par la Ville, mais également par tous les intéressés – en premier lieu reUsine et les associations professionnelles du domaine des constructions, dans le but de créer un effet « boule de neige » et rallier progressivement l’intérêt et le soutien des propriétaires concernés» .

Pour en savoir plus sur la valeur du patrimoine industriel biennois, la Ville de Bienne a créé une page internet spécifique, promue aussi sur les réseaux sociaux : https://www.biel-bienne.ch/fr/patrimoine-industriel.html/3255

Julien Steiner, historien et géographe, Vice-chancelier de la ville de Bienne.

Propos recueillis par Claire Magnin




Rien ne se perd, tout se transforme !

La Gazette de l’avenir – un journal de 2030 ! – nous apprend à quoi pourrait ressembler l’économie du futur : une économie locale, au service des humains et de leurs besoins, et dans laquelle la notion de déchet n’existe plus.

2030 – Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. Ce qui s’applique à la chimie depuis Lavoisier décrit aussi l’économie d’aujourd’hui, grâce notamment à Varing Pradkam, le fondateur de IEKA.

Nous sommes devant l’échoppe d’un petit fabricant de meubles, un immigré suédois, qui a lancé son entreprise, IEKA, il y a quelques années. « À l’époque, raconte-t-il, beaucoup de gens achetaient des
meubles peu onéreux et de mauvaise facture dans des grandes surfaces ; lorsqu’ils déménageaient, soit ils ne pouvaient pas reconstruire les meubles parce qu’ils étaient de mauvaise qualité, soit ils les jetaient parce qu’ils avaient décidé de changer la couleur du salon. Conclusion : tout finissait à la benne. Je me suis alors demandé s’il n’y avait pas une autre solution. » Aujourd’hui, le modèle économique n’a plus rien à voir, puisque les meubles ne sont pas vendus, mais loués, que ce soit pour quelques mois ou à vie. Comme un appartement, en somme. Ainsi, les client·es ne sont plus propriétaires, mais locataires. C’est une situation gagnant-gagnant.

Ce système d’économie de service est d’abord avantageux pour les client·es, qui disposent de leurs meubles aussi longtemps qu’iels le souhaitent, mais n’ont plus à s’en soucier s’iels décident de déménager, de changer la décoration de leur logement, ou si la famille s’agrandit et que le canapé deux places ne suffit plus. Il leur suffit alors de rapporter les meubles en question et, si besoin, d’en choisir d’autres. Vous déménagez dans une autre ville ou même à l’étranger ? Facile : vos meubles loués sont rendus à leur propriétaire et vous partez léger, libre de recommencer avec du mobilier adapté à vos nouveaux besoins (ou goûts) que vous louerez sur place. Et pour la chambre de bébé, qui grandit et finit par quitter le nid familial, rien n’est plus facile pour changer le mobilier au fur et à mesure. En outre, avec la location, les dépenses sont lissées dans le temps : pas besoin de débourser de grosses sommes d’un seul coup. Ainsi, il est plus facile de prévoir son budget mensuel. Enfin, des meubles qui sont destinés à durer sont gages de qualité.

Ce système bénéficie aussi au commerçant et ses employé·es, puisque la location leur assure un revenu mensuel. Ainsi, nul besoin de faire de la réclame agressive, ni de brader les produits pour écouler des stocks désuets.

Écologiquement, l’économie de fonctionnalité est imbattable et le cas de IEKA est exemplaire : « Comme les matériaux employés sont le bois, l’acier et les textiles naturels, le reconditionnement est très facile. La plupart du temps, il suffit d’un coup de ponçage et de verni sur la boiserie, et de nettoyer ou changer le tissu. Et comme tous nos textiles sont compostables, ils fertilisent les champs alentours. À part l’acier de la visserie, qui nécessite un recyclage en fonderie (ce qui est rare), tous les autres matériaux sont neutres en carbone », raconte Varing Pradkam. « Quand le bois est trop usé pour être rénové, nous en faisons des copeaux qui servent dans les toilettes sèches de l’usine. Quand je vous dis que rien ne se perd…! » Chez IEKA, pas de colles synthétiques, ni de matériaux hybrides. Toutes les pièces sont assemblées par des systèmes mécaniques, qui sont donc réversibles. « Le bois s’assemble très bien avec de la colle d’amidon, alors nous n’avons pas eu besoin de faire appel à la NASA pour développer des nouvelles technologies. (rires) Tout existait déjà ! » Plus besoin d’extraire de nouvelles matières premières, ni de s’encombrer de déchets. Les meubles sont fabriqués sur demande et les stocks sont très réduits.

Le pionnier de l’économie circulaire revient sur la transition économique opérée il y a quelques années : « Le premier secteur à avoir muté est la librairie. Très vite, on s’est rendu compte de la perte que représentaient tous ces livres gisant sur nos étagères privées : des tonnes de papier qui jaunit au fil des années, du savoir statique, figé, mort, pour ainsi dire. Peu à peu, les librairies ont cédé la place aux bibliothèques qui louaient déjà leurs livres. Le modèle de location de la bibliothèque annonçait déjà les prémices d’une économie de service : au lieu qu’un livre rapporte une fois 30 francs, qu’il soit « consommé », c’est-à-dire lu une ou deux fois, puis périsse gentiment sur une étagère, il rapporte désormais quelques francs à chaque lecture. Sa valeur, au lieu de diminuer, est multipliée ! Et dans cette fabuleuse boucle, le papier redevient papier, les livres désuets sont recyclés, ceux qui sont trop usés sont réédités et l’information ne cesse de voyager. »

Cet exemple n’en est qu’un parmi la multitude. En 2030, les grandes surfaces ont disparu au profit de l’artisanat, qui fleurit dans cette économie circulaire. De l’électroménager aux vélos en passant par l‘informatique, tous les objets se louent, se réparent, se recyclent, pratiquement à l’infini. La plupart des mines ont fermé et des milliers d’emplois manuels et respectables ont été créés, pour une économie locale réellement au service des humains. Enfin, cette nouvelle économie a complètement changé les valeurs de la société : la notion de propriété, qui était devenue incohérente dans un monde à l’évolution si rapide, a pratiquement complètement disparu ! La société de consommation a muté par la force même de son fonctionnement. En effet, il était devenu absurde et contraignant de posséder tout ce que l’on voulait acquérir au gré de nos envies. Aujourd’hui, on change et on échange le cœur léger et la conscience tranquille.

Texte:
Martin Gunn
a encore le bureau IKEA de ses 13 ans et il est attaché à ses livres, mais il sait aussi qu’un monde juste et durable est possible, à condition qu’il accepte lui aussi de se transformer…

Illustration:
Marion Delannoy




Touche pas à ma bulle !

La bulle, c’est l’intégrité, c’est ce qui nous définit et nous protège. La violence domestique peut faire éclater cette bulle. Solidarité femmes Bienne et région accompagne les femmes et les enfants qui ont besoin de recréer leur bulle.

Ma bulle, c’est cet espace autour de moi qui contient mon corps, mon bien-être, mon intégrité, ma personnalité et mes idées. Les bulles sont capables de se déformer dans un courant d’air et de reprendre leur forme sphérique une fois au calme, mais elles sont aussi extrêmement fragiles et vulnérables. Ce qui pique, coupe ou tape risque de les faire éclater. En (re)créer une nouvelle est un exercice délicat qui peut prendre du temps.

Les femmes et les enfants concerné·e·s par la violence domestique sous toutes ses formes peuvent demander un soutien à Solidarité femmes Bienne et région, centre LAVI qui comprend un centre de consultations et une maison d’accueil. La Loi sur l’aide aux victimes d’infractions définit ainsi le terme de victime à l’article 1 : « Toute personne qui a subi, du fait d’une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle ». La bulle des femmes et des enfants qui s’adressent à Solidarité femmes a souvent éclaté. Pour pouvoir en recréer une, il s’agit en premier lieu de se mettre en sécurité et à l’abri de toute nouvelle violence.

La maison d’accueil de Solidarité femmes, un espace pour recréer sa bulle

Les femmes et les enfants arrivent à la maison d’accueil avec parfois encore l’odeur de la peur sur la peau. Un petit garçon croit voir des crocodiles partout, un autre panique lorsqu’il entend une voix d’homme. Entendre son père menacer de tuer sa mère sème l’effroi et le chaos dans les émotions des enfants, et le chemin pour retrouver la confiance peut s’avérer long et douloureux. Des animations sont proposées aux enfants qui logent dans la maison d’accueil. Ces moments sont comme de petites bulles où ils et elles peuvent penser à autre chose et renouer avec leurs activités d’enfants : jouer, créer, interagir et découvrir.

Pendant ces pauses, les mères peuvent elles aussi commencer à reconstruire leur bulle. Chercher un nouveau logement qui sera un espace sécure, entamer les démarches pour que soit réglée la nouvelle vie sans l’auteur des violences, mettre en place les mesures de sécurité nécessaires. Mais aussi prendre le temps de réaliser ce qu’elles ont enduré lorsqu’elles étaient si occupées à trouver des stratégies de survie. Certaines décident de donner une nouvelle chance à la relation.

Celles qui poursuivent leur chemin de combattantes bravent de nombreux obstacles. Dans la maison d’accueil, les femmes partagent leur expérience et s’encouragent entre elles. Elles s’étonnent souvent de voir avec quelle rapidité leurs enfants retrouvent leur joie de vivre. Pour elles, retrouver la sérénité et la stabilité qui leur permettra de poursuivre leur vie sans violence nécessite plus ou moins de temps, avec des hauts et des bas.

Dans sa « stratégie cantonale pour l’aide aux victimes », le canton de Berne imagine une solution plutôt consternante pour répondre au nombre croissant de demandes d’hébergements sécurisés qui est observé à l’échelle nationale : il vise une réduction de la durée des séjours, ceci afin de protéger la sacro-sainte « neutralité des coûts ». Mais il oublie que vouloir réaliser des économies sur le temps nécessaire pour assurer une sécurité suffisante et à recréer une bulle plus ou moins ronde risque de coûter bien plus cher à la société, avec des répercussions sur de nouveaux séjours en maison d’accueil ou des difficultés psycho-sociales à long terme pour les femmes et les enfants. Ces personnes en situation de vulnérabilité doivent pouvoir bénéficier de l’engagement clair de nos autorités pour une tolérance zéro face aux violences domestiques. Touches pas à ma bulle !

Texte:
Aurélie Landry travaille depuis 16 ans pour la maison d’accueil de Solidarité femmes. Elle est coordinatrice de l’équipe des collaboratrices de la maison d’accueil.

Photo :
Noémie Auderset

Contact : Solidarité femmes Biel/Bienne et région, www.solfemmes.ch, tél. 032 322 03 44, mail info@solfemmes.ch, ou permanence téléphonique des maisons d’accueil du canton de Berne « AppElle ! » 24h/24, tél. 031 533 03 03.




Bulle de maman

La bulle originelle n’est-ce pas celle qui est née dans le ventre d’une femme, d’une fragilité extrême et d’une résistance à presque tout, suivant à la lettre le programme pour surgir à l’air libre, comme un miracle… Une ode à la vie.

La toute première bulle issue de la fusion de deux bulles distinctes, ces petites cellules qui se multiplient au sein d’un cocon intérieur bien caché, bien protégé, et parfois dur à amadouer faute de le sentir, de le comprendre… l’utérus constitue ce premier nid de vie au sein de la femme. Créer la vie tout au long du temps de la grossesse est une sorte de miracle grâce au développement du placenta, le double cellulaire du bébé. Il nourrit ce dernier jusqu’à ce que la bulle soit si grosse qu’elle doive se dissoudre. Pourtant le lien si fort entre la maman et son/ses bébé/s, déjà établi imperceptiblement tout au long de la grossesse dans la bulle primaire, continue à se développer « comme dans une bulle d’amour » jusque dans les premiers moments du bébé à l’air libre, et perdure tout au long de l’allaitement, des soins et de la petite enfance. Comme une enveloppe protectrice et sacrée unissant les parents et leur/s progéniture/s.

L’ambiance, l’énergie, la force d’un accouchement forment un doux mélange de puissance et de douceur intenses, nées du lien établi déjà dans l’enveloppe protectrice de l’utérus.

Soudainement, la femme « entre plus profondément dans sa bulle ». Ses yeux reflètent alors une sorte de « nébulité », un étonnement, une excitation, peut-être même une peur, puis se ferment. Cette protection créée avec l’enfants pendant neuf mois va se dissiper. La création d’une nouvelle sorte et forme de bulle commence.  Cette phase fragile est souvent signée par l’écoulement du liquide amniotique annonçant le  passage imminant à un monde nouveau pour le bébé. Parfois, l’enveloppe amniotique suit le bébé jusqu’à son arrivée au contact de l’air : on le dit « coiffé ». Peut-être a-t-il voulu rester dans la bulle le plus longtemps possible avant de passer d’un monde à un autre ? Pressentant à travers les  membranes perméables, des tensions, des mémoires, des peurs, trop d’amour ?

Quand la femme donne la vie, la force qui prévaut tout au long du travail est particulière, terre à terre. Il n’y a plus que le corps qui sait. Les contractions sont déclenchées par l’hormone de l’amour qui contracte et détend à la fois, seulement lorsque calme, pénombre et tranquillité englobent la maman. Dès lors, c’est comme si la femme avait besoin de s’éloigner de la sphère de la réalité pour aller se lover dans un autre monde liquide à l’intérieur d’elle-même. Elle en sort parfois pour vérifier la sécurité autour d’elle. La maman est alors à la fois vulnérable et dotée d’une force intérieure indescriptible. Ainsi, la vulnérabilité engage la protection, la bienveillance et la douceur du papa ou de la partenaire, de la sage-femme, de la doula et des médecins s’ils sont présents. Lorsque le voile de l’inquiétude brise la bulle, parce que l’instinct de la mère, soudainement, lui fait exprimer que quelque chose ne va pas pour le bébé, comment ne pas la croire, l’écouter ? Il est essentiel de faire confiance à cet instinct surgissant du plus profond de son être. Elle seule sait.

La femme est en même temps affaiblie, forte, animale et sage et ce mélange peut perturber l’entourage. Une grande ambivalence de cette force vitale réside dans la fragilité qu’elle rappelle:  pour donner la vie, la femme pourrait potentiellement sacrifier la sienne. Magnifique sont les  gardiens de la naissance qui ont compris, senti et accepté que cette première bulle de vie est  parfaite. Elle représente, avec la mort comme compagne indissociable, l’expérience la plus intense dans la vie d’une personne.

Texte :
Agnès Leonetti. D’origine francoportugaise, elle vit à Bienne depuis 2004. Maman de 3 enfants, elle travaille en tant que doula et est passionnée par le domaine des soins et de   l’accompagnement. Elle est également active dans le mouvement de transition local. Elle a co-organisé le festival Biu en Vert et a co-créé les associations Graine de Vie et Habiter Autrement qui visent au respect de l’humain et de l’environnement à travers différentes sphères.

Photo :
mis librement à disposition.




Sainte bagnole, priez pour nous !

Être dans sa voiture, c’est se sentir libre comme l’air, protégé, bien confortable, et surtout puissant ! Bref c’est être dans sa bulle. Et une bulle ne se partage pas si facilement. Pourtant les formes de mobilité partagée sont une solution incontournable pour une mobilité durable.

Symbole de liberté, d’autonomie et d’indépendance, la voiture est devenue le symbole du 20e siècle, en témoigne son évolution fulgurante : de 96 voitures pour 1000 personnes en 1960, nous sommes passés à plus de 400 en 1985 (543 aujourd’hui). On ne devient pas adulte à 18 ans, mais le jour où l’on passe son permis.

Lorsque je suis arrivé en Suisse en 2011, ne pas avoir de voiture me paraissait une évidence, tellement je trouvais le réseau de transports publics bien développé, fiable et économique comparé à la voiture. Il est parfois utile de rappeler que malgré quelques retards et incidents, notre réseau est envié par bien des pays. Il suffit d’essayer de planifier des vacances en France en train pour s’en convaincre. Toutefois, se passer de voiture lorsque j’habitais à Bienne était plutôt simple mais les choses se sont compliquées en déménageant à Sonvilier, dans le Jura bernois. Car même si nous nous débrouillons plutôt bien avec le vélo et les TP, la voiture reste utile dans certains cas. Heureusement, le seul véhicule Mobility du Vallon de Saint-Imier se trouve à 3 km de chez moi. J’ai aussi la chance de pouvoir emprunter le véhicule d’un ami au village, parfois celui d’un inconnu grâce à la plateforme 2em.ch, de covoiturer pour me rendre à certains événements et occasionnellement de tomber sur une âme charitable quand il m’arrive de faire du stop.

Mais l’offre d’autopartage et de covoiturage reste faible. Ce n’est pourtant pas le nombre de véhicules qui manque et il en faudrait peu pour réduire le nombre de voitures en circulation. Chacun peut publier ses trajets réguliers sur un site de covoiturage, mettre sa voiture à disposition sur 2em.ch, prendre à bord les autostoppeurs.euses ou encore proposer à ses collègues de covoiturer quand c’est possible. Mais ouvrir sa bulle ne va pas de soi et la confier à autrui encore moins. Les experts en psychologie et en comportement humain ont là un bel os à ronger.

Et pourtant, il faudra bien y arriver car l’hégémonie de la voiture est de plus en plus insoutenable: 31% des émissions de gaz à effet de serre sont liés aux transports, dont les 3/4 à la voiture. En Suisse, 14’000 litres de carburant sont brûlés chaque minute. On n’a même plus conscience de l’omniprésence du bruit routier, de l’espace énorme qu’occupe la voiture (routes, parkings, garages) et de son impact sur le paysage.

Passer à la voiture électrique offrira clairement des avantages : peu de bruit, pas d’émissions lors de l’utilisation, meilleure efficacité énergétique, etc. Mais remplacer nos 4.7 millions de voitures et 1 million de deux-roues créera une pression énorme sur les ressources, d’autant plus que la fabrication d’un véhicule électrique pollue beaucoup plus (à l’étranger, pas chez nous). Son avantage écologique ne commence qu’à partir de 100’000 km environ.

Au-delà de la question du type de moteur (thermique), le concept même de voiture individuelle est à repenser. L’électrification de la mobilité ne règlera en rien le problème de l’omniprésence de la voiture. Au contraire, elle créera à coup sûr un “effet rebond”: comme la voiture est “propre”, on l’utilise pour des petits parcours que l’on pourrait parcourir autrement, ce qui perpétue le même paradigme : plus de kilomètres, plus de voitures, plus d’infrastructures. Un cercle vicieux.

Pour atteindre la neutralité carbone visée par la Confédération, d’autres solutions complémentaires existent :
– recourir au vélo électrique permet de se rendre au travail et peut-être de remplacer le 2e véhicule des ménages
– faire le pas de troquer sa voiture contre un AG et/ou un abonnement Mobility
– mieux partager les trajets (covoiturage) et les véhicules (autopartage). Selon Mobility, un véhicule en autopartage remplace 11 véhicules individuels.
– relocaliser nos déplacements pour les loisirs et les achats et utiliser les offres de télétravail, télémédecine, achats en ligne, etc.
– développer les destinations de vacances sans voiture
– choisir des véhicules plus petits consommeront moins de ressources et moins d’énergie à l’utilisation (voir les Microlino produites en Suisse, et dont les premiers exemplaires circulent déjà)

Il faudra enfin un peu d’intelligence et de bon sens pour en finir avec cette ère de la sacro-sainte voiture. A chacun d’entre nous d’accepter d’ouvrir sa bulle, d’oser covoiturer, de prêter sa voiture, de s’en passer, bref, de montrer la voie, car c’est ce qui fera toute la différence. Comme le dit Gandhi : « Montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul ».

Texte:
David Vieille
 est en charge des projets « Energie » pour l’association de communes Jura bernois.Bienne. Il est l’auteur du blog alternatives-ecologiques.ch et donne des conférences sur les thèmes du zéro déchet et de l’énergie.

Photo :
Claire Magnin: « Enuu », rouler plus léger et tout tout petit…





Bulles de filtres – ou comment TikTok menace la démocratie

Internet. La promesse d’une information abondante universellement disponible. Les réseaux sociaux, matrice d’une intelligence collective mondiale, gardiens de la liberté  d’expression, berceau des amitiés qui transcendent les contraintes de l’espace-temps. Ça, c’était sur le papier. Mais en  vrai, parfois, ces outils sont pervertis pour servir le capitalisme, isolent, fracturent le tissu social, et mettent à mal la démocratie…

Imaginez que vous vous rendiez dans un restaurant et que, sans vous en informer, on vous présente un menu contenant seulement une sélection des plats que l’on juge bons pour vous, selon vos goûts, votre lieu de résidence, votre budget et votre origine ethnique. La technique est efficace et vous avez de bonnes chances de retourner dans ce restaurant qui vous  propose systématiquement des plats qui vous plaisent, mais peu d’opportunités de vous 0uvrir à d’autres cuisines.

Sur Internet, c’est pareil. Chaque fois que vous faites une recherche sur Google, naviguez sur la toile ou consultez votre fil d’actualité sur les médias sociaux, ce que vous voyez a été spécialement sélectionné pour vous. Vous êtes, à votre insu, prisonnier·e d’une « bulle de filtre ».

Selon Eli Pariser[1], à qui l’on doit ce terme, le phénomène de bulle de filtre est à la fois la sélection de l’information qui parvient à l’internaute et l’isolement intellectuel et culturel généré par ce tri. En gros, les algorithmes de recommandation des médias sociaux (YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, TikTok, etc.) s’appuient sur les données collectées sur vous (les sites que vous fréquentez, vos recherches sur Internet, vos habitudes d’achat, vos « likes », les personnes que vous suivez…) et sélectionnent quasi uniquement du contenu susceptible de vous plaire. Au final, vous évoluez à votre insu (!) dans un environnement virtuel personnalisé – une bulle – dans lequel vous ne consommez que du contenu en accord de près ou de loin avec vos idées politiques et sociétales. Sur Internet, notre temps de cerveau disponible est une ressource rare pour laquelle se battent les entreprises. Plus longtemps nous restons sur un site web ou un fil d’actualité, plus nous sommes exposé·es à de la réclame, et donc plus nous sommes susceptibles de consommer. En bref, notre temps, c’est de l’argent pour les autres. C’est l’économie de l’attention. Pour cela, les algorithmes de recommandation personnalisent les contenus que nous consommons en fonction de nos préférences, afin de capter, et garder, notre attention.

Soit, mettons qu’on ne me propose que le schnitzel à l’Odéon et que j’aie peu de chance de découvrir le couscous, mais à part ça, où est le problème ?

Premièrement, les bulles de filtre occultent une partie des données quasi infinies théoriquement disponibles sur la toile. En cela, elles réduisent à une information unilatérale nos moyens de nous constituer une opinion. Elles agissent comme un tamis, dont résulte une perte de l’esprit critique.

Deuxièmement, elles renforcent nos points de vue et nos préjugés parce qu’elles suppriment les pensées alternatives et les opinions politiques divergentes.

Troisièmement, parce qu’elles renforcent certains biais cognitifs, comme le biais de confirmation, ou l’effet de répétition, qui fait que plus nous voyons une information, plus nous pensons qu’elle est vraie, les bulles de filtres favorisent la circulation des infox (Fake News). Et comme nous sommes si peu habitué·es à des avis contradictoires, nous ne prenons même plus la peine de vérifier nos informations avant de les valider et de les partager.

Enfin, parce qu’une grande partie de la population s’informe sur les médias sociaux, il se crée des fractures sociales entre des groupes d’opinions différentes : la population se scinde, se polarise et se radicalise. Souvenez-vous du débat enflammé autour du vaccin contre le COVID…

Ajoutez à cela que de nombreux comptes très actifs sur Twitter ou Facebook, par exemple, sont des robots2 et qu’il sont parfois destinés à manipuler l’opinion politique, comme dans l’affaire Cambridge Analytica : en 2016, les médias sociaux ont été exploités pour influencer les intentions de vote d’électeurs-clé lors de la campagne présidentielle américaine, et, deux ans plus tard, pour faire pencher la balance en faveur du Brexit. Récemment, les « Twitter bots » ont encore sévi pour manipuler l’opinion publique sur le conflit russo-ukrainien.

Bref, méfions-nous : sur Internet, un « menu sans couscous » n’est pas aussi innocent qu’il paraît…

[1]entrepreneur militant et fondateur de avaaz.org, le site de pétition sur Internet
[2]5 % des comptes selon Twitter, et jusqu’à 20 % selon certaines estimations indépendantes.

Texte :
Martin Gunn est ingénieur en robotique mais n’a pas de smartphone, il est absent des médias sociaux mais probablement accro à YouTube, et les ami·es comme les cookies, il les préfère dans le monde réel plutôt que dans le virtuel.

Illustration :
Dimitri Roulin, 19 ans, est étudiant en art visuel et passionné par l’illustration, et en particulier les dessins de presse satirique afin d’être actif face aux défis de notre époque (environnementaux et sociaux).




Pas de féminisme sans les putes !

Rendre visibles des femmes trop souvent stigmatisées, marginalisées et silencieuses. Celles qui n’ont pas de bulles protectrices ou qui en sont exclues. Nous avons rencontré Melanie Munoz, assistante sociale et directrice de Lysistrada, Fachstelle für Sexarbeit à Olten. Son message principal : le travail du sexe est une question économique et pas morale !

Quelle aide concrète Lysistrada apporte-t-elle aux travailleuses du sexe ? 

Nous visitons les endroits où elles se trouvent, dans les bars, les cabarets, les salons qui nous sont connus. En ce qui concerne la prostitution de rue, je leur rends visite une fois par semaine à Olten et ma collègue dans le reste du canton de Soleure. Nous n’allons jamais seules mais accompagnées de « médiatrices » c’est-à-dire des femmes qui parlent leur langue. En outre durant le Covid, la chaîne du bonheur a financé un 50 % de poste supplémentaire pour 1 an et nous avons pu le maintenir avec un projet de prévention des violences commises sur les travailleuses du sexe, et financé cette fois par la Police fédérale.

Quelles sont les difficultés principales rencontrées par les travailleuses du sexe en Suisse ?

Nous rencontrons surtout des femmes migrantes, qui ont une autorisation de travailler de 90 jours, document qui n’est pas un permis de séjour. Ainsi elles n’ont pas de caisse maladie et beaucoup de difficultés à accéder à des soins. Nous les aidons à avoir accès à ceux-ci. Il y a d’autre part les questions autour des normes légales concernant l’exercice de la prostitution, le droit du travail et la législation sur la migration. Nous les informons sur leurs (peu) de droits et sur leurs (multiples) obligations.

Quels obstacles rencontrent-elles au quotidien ?

C’est une question difficile !  Beaucoup de personnes imaginent le travail du sexe comme étant la misère, la précarité, comme une activité exercée par des migrantes obligées de se prostituer.  Évidemment, les situations de précarité et de pauvreté existent.  Mais je trouve important de rappeler que le travail du sexe est aussi un choix, entre peu de possibilités certes, mais un choix. L’incapacité d’une partie importante de la société de comprendre, d’accepter que ce soit une décision, qu’il s’agit d’une activité légale et que ces femmes ont le droit que leur choix soit respecté rend leur situation difficile. Lors de nos contacts, elles se montrent pragmatiques en ce qui concerne les services sexuels. Le travail en tant que tel ne leur pose pas problème, mais plutôt ce qui l’entoure : la stigmatisation, les lois migratoires, la socialisation dans leur pays, les enfants qui y sont restés, les relations avec leur famille, à qui elles cachent souvent leur véritable activité. C’est surtout autour de ces problématiques que nous créons des liens. Nous échangeons sur leurs ressentis, sur le responsable du salon, des contacts avec les autres femmes, les enfants restés à la maison, le manque d’argent, la pauvreté.  C’est pourquoi nous affirmons que c’est la pauvreté qu’il faut combattre et non pas les personnes qui se prostituent.

Quelle est la situation financière des travailleuses du sexe ? 

Certaines personnes font de l’argent dans la prostitution, c’est clair. En revanche, en ce moment la possibilité de faire de l’argent par ce biais est devenue plus difficile. On observe un surplus d’offres par rapport à la demande, ainsi les tarifs baissent. Durant la crise du Corona beaucoup de salons ont fait faillite, et il est devenu plus compliqué d’en ouvrir, car les exigences légales ont augmenté. Le fait qu’il y ait moins de possibilités légales pousse les femmes à travailler illégalement dans des appartements et des hôtels, ce qui les rend vulnérables à une surexploitation et à l’insécurité de la part des bailleurs, mais aussi des clients.

En Suisse, existe-te-t-il une organisation ou un collectif de travailleuses et travailleurs du sexe ? 

Depuis le Corona, le secteur est devenu encore plus mobile. Les travailleuses changent sans cesse de de lieu, en quête de meilleures conditions. Il faut comprendre que leur centre de vie ne se trouve pas en Suisse mais dans leur pays d’origine. Les travailleuses du sexe suisses peuvent peut-être penser à s’organiser, mais pas les migrantes sans permis de séjour. Il y a 2-3 ans un Sexworkcollectif s’est formé en Suisse pour les travailleurs et travailleuses du sexe, pour donner suite aux besoins d’échanges et de mise en réseau.

Et quelles sont vos relations avec les autres associations de soutien aux travailleur.euses du sexe ? 

Nous avons aussi une association nationale PROCORE regroupant les associations et collectifs de soutien aux travailleur.euses du sexe et qui œuvre principalement au niveau politique. Par exemple dans le canton de Soleure, nous avons pris position lors de l’élaboration de la loi cantonale sur la prostitution. Nous avons dû lutter pour que notre participation soit acceptée. Cette loi est incluse dans la législation sur le commerce et l’industrie et non pas une loi spécifique sur la prostitution, ce qui est une reconnaissance implicite que le travail du sexe est un travail. En général,  les associations se méfient des lois, car elles ne protègent pas les femmes mais permettent de contrôler la migration.

Avez-vous des liens avec le mouvement féministe ?

Plusieurs positions existent parmi les féministes. C’est difficile. Certaines considèrent la prostitution comme un avilissement des femmes, donc une activité à interdire, d’autres encore pensent qu’une femme trans n’est pas une vraie femme, d’autres encore qu’il faut les protéger et les sauver. Personnellement je pense que ce sont les personnes directement concernées qui devraient décider de leurs conditions de travail. Ce n’est pas le féminisme qui doit s’occuper des travailleuses du sexe, mais elles doivent pouvoir intégrer les mouvements féministes en tant que telles.  J’espère qu’à l’avenir davantage de femmes disposeront de suffisamment de ressources pour lutter elles-mêmes pour leurs droits. Il faut bien réaliser que plus ce secteur d’activité et ces travailleuses sont précarisés moins les femmes peuvent prendre la parole. Plus on marginalise et exclut, plus on augmente les risques pour ces femmes.

Interview :
Claire Magnin, membre du comité de la rédaction.
Photo :
PROKORE,
www.aninski.com




La gentrification c’est pas bon pour la tête !

Après la destruction de La Biu, du Trüc (X-Project) et des ateliers à la rue de l’Allée, les collectifs se mettent à la recherche de nouveaux espaces alternatifs à Bienne. En juin, le collectif l’Equipe a donc occupé le Quai du Bas 30, vaste espace, adapté pour des activités culturelles et sociales. Il a permis d’ouvrir un débat sur l’application du règlement d’utilisation temporaire d’espaces vacants à Bienne et de pointer la question de la gentrification de la ville, de la mémoire et de la préservation de son patrimoine industriel et culturel.

Juin 2023, l’Equipe occupe le Bührer-Areal

C’est une cour immense, flanquée entre autres d’anciens ateliers de métallurgie et de charpenterie avec au fond, du côté de la rue du Débarcadère, un début de pelouse qui donne des envies de jardinage. Un grand arbre offre son ombre aux occupant∙e∙s tandis qu’une chorale venue en soutien au collectif entonne des chants anarchistes. À l’arrière, des scènes tournées clandestinement dans ce même lieu par Alvaro Bizarri, il y a près de 50 ans, sont projetées. On y voit des ouvriers immigrés saisonniers montrer le délabrement des baraquements dans lesquels ils sont logés, de plus moyennant le payement d’un loyer.  Surplombant la scène une grande bannière « STOP À LA GENTRIFICATION » accrochée au balcon de la grande maison donne le ton et complète l’ensemble, autrefois propriété de l’entreprise Bührer. Venus d’horizons divers plusieurs dizaines de personnes sont présentes et sont invitées à imaginer l’usage qui pourrait être fait de ce grand domaine idéalement situé entre la gare et le lac. Les mots d’ordre lancés par l’Equipe appellent à une utilisation collective et non-commerciale des lieux. Avis aux esprits rêveurs et autres bricoleuses !

Un lieu de mémoire et fragment de l’âme ouvrière de Bienne

Propriété du Canton de Berne, les bâtiments ont été laissés vides depuis janvier 2023. L’occupation surprise des lieux par les jeunes activistes de l’Equipe, si elle a fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale, n’a hélas pas incité les autorités biennoises à répondre aux demandes de médiation du collectif. Alors que soudainement, les biennois∙e∙s redécouvrent un terrain et ses bâtiments historiques, les avis vont bon train quant à l’utilisation – temporaire – qui pourrait en être faite. Un lieu de mémoire selon les historien∙ne∙s locales, puisqu’on a découvert récemment que des ouvriers immigrés saisonniers ont longtemps été logés dans les baraquements adjacents bien conservés. L’exposition sur les saisonniers au NMB a sensibilisé sur la nécessaire conservation de ces vestiges qui font partie de l’histoire industrielle et humaine de la ville de Bienne. Les activistes de l’Equipe se sont d’ailleurs adossés à cette dimension historique du lieu, pour appuyer leur critique de la gentrification de Bienne et affirmer leur désir de transformer le Quai du Bas 30 en un lieu de culture non-commerciale, ouvert à toutes et à tous, là où il y a quelques années encore, l’entreprise Bührer stockait ses machines de chantier.

La gentrification des esprits – aussi à Bienne ?

Mais qu’entend-on au juste par « gentrification » ? La notion est au cœur de la réflexion de Sarah Schulmann, essayiste américaine et autrice de l’essai La gentrification des esprits (2013). Elle y investigue les transformations subies par certains quartiers de New York dans les 1980 et 1990, en pleine crise du sida, où la population cosmopolite et désargentée, artiste et immigrée a peu-à-peu été remplacée par des « yuppies » embourgeoisés. Pour l’autrice, il ne s’agit pas simplement d’un processus de marginalisation de la population locale, mais aussi d’une homogénéisation des modes de vie et des goûts, accompagnée d’une simplification de l’histoire d’un territoire. En d’autres termes, la gentrification, ce ne sont pas seulement des dalles de béton, des appartements rénovés et la disparition de petits commerces locaux de proximité, cela se passe aussi dans les têtes, par une uniformisation de la pensée, des idées et des récits.

C’est dans cette perspective que s’inscrivent les membres de l’Equipe et leurs soutiens, lorsqu’ils et elles exigent des lieux alternatifs et non-commerciaux à Bienne. Il y a dans cette critique de la gentrification une dimension collective, profondément ancrée dans la volonté de faire vivre les lieux que l’on habite. Joli pied de nez à l’histoire, quand on pense à l’exploitation subie par les saisonniers qui ont participés à la construction de nombreux bâtiments à Bienne.

Occupation de lieux vacants : qui est dans l’illégalité ?

Or la commune s’est justement dotée, en 2019, d’un règlement sur l’utilisation temporaire d’espaces vacants à Bienne, particulièrement intéressant si, comme l’affirme Sarah Schulmann, la lutte contre la gentrification est une décision politique qui doit être soutenue par l’Etat. Ce règlement donne pour tâche à la Ville d’inscrire sur son site Internet les espaces vacants, locaux ou friches, et de se faire l’intermédiaire entre le propriétaire et les personnes ayant un projet d’occupation intermédiaire. À noter que les propriétaires, privés ou publics, sont tenus d’annoncer aux autorités leurs espaces vacants. On peut dès lors se demander qui est dans l’illégalité ? Le Canton qui n’a pas annoncé aux autorités biennoise cet espace vacant ? La Ville qui ne répond pas aux sollicitations du collectif l’Equipe ? La Ville qui ne met pas cet espace vacant sur son site internet, ni aucun autre espace d’ailleurs ? Ou le collectif qui occupe ce terrain ? On pourrait aussi amender le canton qui laisse à l’abandon un patrimoine important de l’histoire industrielle de Bienne, les logements des saisonniers.

Quel avenir pour le Quai du Bas 30 ?

Après une pétition ayant récolté plus de 1000 signatures, une manifestation devant le Conseil de Ville, de nombreux articles de presse et des activités culturelles et sociales sur le terrain, le Canton a finalement promis d’entendre les demandes du collectif, si celui-ci renonçait à l’occupation. On ne discute pas dans une situation d’illégalité ! Sic !

Le Conseil de ville, hormis l’UDC qui s’est fendu d’une intervention outrée, s’est aussi mobilisé, avec un postulat urgent demandant au Conseil municipal de s’efforcer d’encourager la conclusion d’un contrat d’utilisation intermédiaire entre le canton et le collectif. Le postulat demande aussi de mettre systématiquement à disposition du public une liste des espaces vides sur le territoire biennois appartenant au Canton et à la Ville.

Enfin, des contacts ont eu lieu entre le collectif, la Ville de Bienne et le canton de Berne. L’espace du Quai du bas 30 sera mis à disposition pour 15 ans. Mais à qui ? Rien n’est encore décidé. Cependant l’on peut considérer que c’est là une première victoire !

Fidèle à ses valeurs de participation et d’engagement de toutes et tous, le collectif a appelé à des rencontres pour récolter ensemble des idées concernant les activités qui pourront être développées sur ce domaine. Et pour que le Canton considère enfin le collectif et ses projets et lui octroie la jouissance de la Bührer-Areal, celui-ci va déjà se doter d’une personnalité juridique et d’un plan financier solide. Berne reste Berne !

Texte :
Anne-Valérie Zuber et Claire Magnin. Anne-Valérie Zuber est biennoise d’adoption et passionnée par l’histoire locale. Claire Magnin fait partie du comité de rédaction.

Photo : Lucas Dubuis : Ancien logement des saisonniers de la Bührer-Areal.