Eaux minérales ou eau du robinet, qui remporte le match ?

Impossible de se pencher sur l’eau sans aborder la question du commerce florissant de l’eau. Et le match fait fureur entre l’eau du robinet et l’eau embouteillée.

Il y a un siècle, la consommation d’eau minérale en Suisse atteignait moins de 2 litres par habitant et par an, dans les années 50 elle était encore inférieure à 10 litres et en 2013 chaque habitant en Suisse en consommait en 110 litres. Aujourd’hui il est consommé en Suisse chaque année plus de 900 millions de litres d’eau minérale en bouteille, aromatisées ou non, soit plus de 100 litres par personne, dont plus d’un tiers est importé. Mais comment les suisses consomment-ils leurs boissons favorites embouteillées ? 55% à domicile et dans la restauration pour 45% restant. Et les eaux aromatisées telles que Schweppes ou Henniez citron, San Pellegrino orange, etc. sont de plus en plus consommées. 

Qui sont donc ces marchands d’eau et à qui appartiennent les marques que nous trouvons dans nos supermarchés ? Qui enrichissons-nous chaque fois que nous buvons un verre d’eau minérale ? 

En Suisse, il y a deux principaux producteurs d’eau minérale en bouteille : 

D’abord Nestlé, qui occupe 45% des parts de marché : eaux importées telles que Perrier, Vittel, Contrex, San Pellegrino et suisses, car en prenant de possession de Henniez en 2007 et de Cristalp, Nestlé a pris la tête des ventes en Suisse  

Ensuite, la Migros qui possède les marques Aproz, Valais et Aquella. L’entreprise Aproz Sources Minérales SA appartenant à la Migros a vendu en 2019, 174 millions de litres d’eau minérale, un chiffre d’affaires de 83 millions et un bénéfice de 5,3 millions titre le Nouvelliste du 10.5.2019. Elle produit aussi des eaux aromatisées, des jus de pommes et des sirops. L’entreprise communique qu’elle peut embouteiller 100’000 bouteilles pet en une heure et est en constante croissance

Viennent ensuite Arkina, qui appartient à Feldschlössen produite dans une entreprise délocalisée aux Grisons, Valser appartient à Valser Mineralquellen GmbH et fait partie de la compagnie Coca-Cola depuis 2002, avec 100 millions de litres vendus en 2019, dont 30% à l’étranger.  

Quels pourraient être donc les avantages de consommer de l’eau minérale en bouteille ? Comment est-ce possible qu’autant de personnes s’obligent à transporter des lourds packs de 6 bouteilles de 1,5 litre, achetés jusqu’à 5-6 Fr. alors qu’en ouvrant le robinet elles ont immédiatement et sans effort et presque gratuitement accès à l’eau ? 

L’eau minérale est-elle vraiment plus saine que celle du robinet de nos cuisines ? Plus propre ? Plus riche en minéraux ou oligoéléments ? Prévient-elle mieux les maladies ? Est-elle meilleure pour notre santé ? Comme le prétendent les minéraliers et autres embouteilleurs ! 

Il faut dire que ceux-ci ont su se montrer convaincant, la valeur du marché mondial étant estimée en 2015 à 200,3 milliards de dollars US. Ainsi la publicité pour les eaux minérales s’est montrée des plus séduisante : « aider vos enfants à grandir » , « la santé en bouteille », « l’eau de la première dent », « avec Vittel je récupère », « irremplaçable jeunesse ». 

Mais des slogans publicitaires ne suffisent pas à changer des habitudes de consommation. Il faut une stratégie complémentaire. Celle-ci a été la décrédibilisation des services publics de l’eau. L’eau du robinet serait moins saine que celle que l’on achète en bouteille et l’état moins efficient que le secteur privé pour fournir une eau saine et de meilleur goût.  Ces campagnes ont été orchestrées suite aux discussions à l’OMC sur l’Accords général sur le commerce des Services (AGCS),  accords qui prévoyaient de supprimer les concurrences entre secteur privé et secteur public et la privatisation à terme de secteurs monopolistiques. 

Qu’en est-il vraiment ? La législation suisse sur l’eau potable est une des plus strictes en Europe, non seulement en ce qui concerne l’eau en tant que telle mais également pour toutes les installations de pompage, transport, conservation, etc. Les normes sont très strictes concernant la désinfection, les produits qui peuvent être utilisés et les protections biologiques.  Elle est donc de qualité, régulièrement contrôlée et saine. Selon l’ordonnance du DFI du 16.12.2016, il est interdit de modifier sa composition si l’on veut la vendre comme une eau minérale. 

Dans certaines circonstances boire de l’eau minérale très particulière peut s’avérer plus favorable en fonction de sa teneur en oligoéléments, dans d’autres elle serait contre-indiquée pour les mêmes raison : par exemple l’eau Vichy a une forte concentration de sel, ce qui est contre-indiqué pour les personnes hypertendues ou avec une insuffisance cardiaque. L’OMS elle-même déconseille de consommer les eaux minérales naturelles comme boisson de table au sous peine, pour certaines plus chargées en minéraux, d’épuiser le travail des reins. Donc match nul.

Quant aux pesticides présents dans certaines nappes phréatiques, ceux-ci pourraient finalement faire gagner la partie aux minéraliers. Rien de moins sûr, car si les nappes sont polluées, celles dans lesquelles sont pompées les eaux minérales ont de grandes probabilités d’être aussi polluées. Et puis on ne trouve que ce que l’on cherche, comme dit le dicton. Les minéraliers cherchent-ils les résidus de pesticides ? Des traces d’Atrazin ont été trouvées dans l’eau Volvic. Parce que les associations de consommateurs se préoccupent de ces questions et font des analyses. 

Un argument qui devrait parler aux Suisses, c’est celui du porte-monnaie. Le coût de l’eau potable en suisse est de 1.80 pour 1000 litres (1.30/1000 litres à Bienne), chaque personne en consomme environ 160 litres par jour, soit 30 ct. par personne et par jour. Autant dire que le 1,5 litre que nous devrions boire par jour ne coûte pratiquement rien. Alors que cette même quantité peut coûter de 0.25 à 1.25 fr en fonction de la marque. 

Mais il reste un argument de taille pour évaluer les avantages et désavantages entre l’eau du robinet et l’eau minérale en bouteille et c’est celui du plastic. En effet, nous consommons une quantité astronomique de plastique lorsque nous buvons de l’eau en bouteille, dont seulement 10% est recyclé. Et là, il n’y a pas de bon plastique, écologique, meilleur pour la santé ! Le plastique pollue quoi qu’il emballe ! 

Ainsi, boire l’eau du robinet protège les réserves d’eau de bonne qualité, évite de polluer la planète en et en particulier les océans, est bien meilleur marché et garantit la santé de la population au mieux. 

Text:
Claire Magnin, comité de rédaction
Grafik:
Andreas Bachmann, grafikartelier.ch