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La Géonef – Récit de voyage à bord d’un vaisseau terrestre

Géonef6

 

 

Géonef #6 

Au bout du rouleau

Aujourd’hui, je partage avec vous l’astuce douïttioursèlfe pour faire ses pots à semis. Vous connaissiez sans doutes déjà l’idée qui consiste à récupérer les boîtes à œufs, alors je vous en présente une autre avec des… rouleaux de papier toilette ! Et oui, parce quand on est végétalien·ne, on ne mange plus d’œufs, mais on continue à ch… (Ça va, Martin, merci, on a compris.)

Pour faire vos petits pots, c’est très simple. Il vous suffit d’une paire de ciseaux, de quelques rouleaux de papier toilette vides et d’un peu de patience (ou beaucoup si, comme moi, vous avez une main à gauche et une autre pas très adroite…) Commencez par découper le rouleau en deux selon un plan transversal (bref, débrouillez-vous pour avoir deux petits rouleaux). Ensuite, taillez quatre encoches d’un côté de chaque rouleau ; vous obtenez ainsi quatre petites ailettes à une extrémité du tube. Il vous suffit ensuite de replier en chevauchant ces ailettes pour fermer une extrémité du tube. Tadaaaa !

Je ne vous cache pas que la fabrication de 137 pots (ne me demandez pas comment j’obtiens un nombre impair en divisant des rouleaux en deux) est un travail assez répétitif, mais comme ça, vous aurez l’impression d’être employé·e chez Apple ! (Je ne parle pas des informaticien·nes, mais des enfants chinois qui travaillent à la chaîne seize heures par jour pour fabriquer nos iPhones.)

Peut-être que vous vous demandez pourquoi je vous parle de faire vos semis alors que vous êtes en train de siroter peinard·e une Ovo chaude sur la terrasse d’un restaurant d’altitude, les skis au pieds. Eh bien en Espagne, le printemps a débarqué comme l’astéroïde sur Chicxulub (avec un peu moins de violence et un peu plus de papillons, heureusement). Tout s’est passé si vite que les amandiers sont en fleurs, mais les abeilles dorment encore. Du coup, la pollinisation n’a pas lieu et les agriculteur·ices ont le bourdon. Tenez, à propos…

Une étude réalisée sur soixante-six espèces de bourdons durant 115 ans révèle le déclin drastique de ces insectes en Amérique du Nord et en Europe. En cause, une hausse des températures moyennes et une augmentation des épisodes de chaleur extrême. L’étude indique que la probabilité de survie des bourdons a diminué de trente pourcents au cours de la dernière génération, un taux symptomatique d’une extinction de masse. Si le déclin se poursuit, de nombreuses espèces auront complètement disparu d’ici quelques décennies. Et comme les bombus jouent un rôle majeur dans la pollinisation de nos cultures, nous devons absolument les protéger. (Les détails en une minute de lecture en anglais ici).

Super, merci pour les mauvaises nouvelles, Martin ! Et maintenant qu’on a le moral au fond d’un échantillon gratuit de glyphosate, on fait quoi, concrètement ? Nous ne pouvons peut-être pas directement sauver les ours polaires à la dérive, mais nous pouvons prendre soin des insectes indispensables à notre survie en laissant sauvage une partie de notre jardin ; à la place du gazon impeccable façon Buckingham, préférons une prairie avec des fleurs ou un potager avec des fruits et des légumes non traités.Sur ce, je vous laisse j’ai l’équivalent de 7,8 kilomètre de rouleaux de papier hygiénique à découper…

P.-S. – Je remercie toutes celles et ceux qui ont partagé avec moi leurs efforts : ceulles qui sont végétarien·nes du lundi au vendredi, qui boudent les sacs en plastique dans les supermarchés, qui n’achètent plus de bouteilles en PET, qui ont remplacé le papier ménage par des chiffons en tissu… Vos nouvelles me font chaud au cœur et participent à l’effort commun, alors bravo et merci !

Géonef5

Nos habitudes de consommation se reflètent dans la qualité de l’eau…

 

Géonef #5 

Histoire d’eau

Quand je débouche un évier, je me sens un peu comme un paléoclimatologue qui fait des carottes dans la banquise (mais pas le légume, hein, ça pousse assez mal dans la glace, si jamais. Quoiqu’au rythme où vont les choses, on fera bientôt pousser des mangues et des avocats au Groenland !) Sauf qu’au lieu de mesurer l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère au cours des décennies, j’étudie les habitudes alimentaires des propriétaires précédent·es. Alors je veux bien croire que ce ne soit pas très réjouissant de voir exploser le taux de CO2 dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle, mais passer à travers vingt ans d’habitudes alimentaires d’un couple de retraité·es néerlandais·es, avec bonus caillots de savon pétrifiés, supplément poils de chat et l’odeur qui va avec, ce n’est pas hyper glamour non plus. En vrai, on pourrait aligner les petits morceaux le long d’une frise temporelle et déterminer leur régime alimentaire. (Bon appétit !) Le lendemain, au soleil, je grignote tranquillement une pomme que j’ai découpée en quartier avec mon couteau-suisse… puis réalise que j’ai utilisé ce même couteau la veille pour grailler les grumeaux au fond du siphon. Beurk !

Toujours au chapitre de la tuyauterie, le réseau d’eau me laisse perplexe. Aucun tuyau n’est étiqueté, les tubes font des aller-retours dans tous les sens et même le plombier y perd son latin. Il y a tellement d’embranchements et de connexions incompréhensibles que cet embrouillamini ressemble plus à l’arbre généalogique d’une famille de lapins d’élevage qu’à un schéma de plomberie. Un malheureux coup de marteau-piqueur dans un tuyau et nous voilà privé·es d’eau. Et comme le plombier galère pour y remettre de l’ordre, nous devrons attendre le lendemain après-midi pour revoir la couleur du précieux liquide. En distribuant équitablement les fonds de carafes de midi, il nous reste chacun·e un bon litre d’eau, à rationner jusqu’au retour de l’eau courante. Une douche ? Bah non, tant pis. Se laver les mains ? Hum, ça serait gâcher. Cuire des pâtes ? Même pas en rêve. Le réflexe d’ouvrir le robinet est automatique, mais chaque fois je suis surpris de ne pas voir couler l’eau. Alors on réalise à quel point cet or bleu est précieux, rare et terriblement mal distribué, heureusement pour nous ! Alors pendant que nos glaciers fondent à vue d’œil, on se rend compte de l’absurdité de déféquer dans l’eau potable, de nettoyer nos voitures à l’eau potable, d’arroser nos jardins avec de l’eau potable…

À propos, cette eau « potable » ne l’est pas autant qu’on pourrait le croire. Une étude révèle que des milliards de personnes (dont nous) boivent de l’eau contaminée par des particules de plastique ; 83 % des échantillons d’eau du robinet, prélevés dans douze pays du monde, sont pollués. Alors en plus d’ingérer du plastique via notre alimentation (si vous mangez encore du poisson ou des fruits de mer, autant avaler directement une brique Lego), notre eau potable est également source de contaminants. Il est tentant de mettre la faute sur les pays en voie de développement qui ne savent plus quoi faire des 300 millions de tonnes de plastiques produites chaque année dans le monde, mais ça serait trop simple. En fait, même nos habits participent à la pollution ! Une veste polaire molletonnée peut relâcher jusqu’à 250 000 microfibres par lessive ! Et comme les stations de traitement des eaux usées de sont pas équipées pour les filtrer, celles-ci finissent dans la chaîne alimentaire, se dégradant gentiment en nanoparticules qui peuvent ensuite traverser les parois cellulaires et donc s’accumuler dans nos organes. Bonnes nouvelles, Mesdames, si vous êtes insatisfaites de votre poitrine, vous aurez bientôt des implants mammaires gratuits ! Quant à vous, Messieurs, inutile de vous rabattre sur la bière (ou l’eau en bouteille), le problème est le même ! (Les détails en cinq minutes de lecture en anglais ici.)

Super, merci pour les mauvaises nouvelles, Martin ! Et maintenant qu’on a le moral au fond d’un pédiluve, on fait quoi, concrètement ? Bon, je ne dis pas qu’il faut brûler ce soir votre pantalon de yoga ni votre maillot de foot, mais commençons pas remplacer nos éponges de cuisine par un simple torchon en coton et bannir une bonne fois pour toutes les plastiques à usage unique. Et si, au prochain changement de pneus, vous vous demandez où est passée toute cette gomme, vous trouverez peut-être la réponse au fond d’un verre. 😉

Sur ce, je vous laisse, j’ai un évier à déboucher…

Géonef #4 

Qui part à la chasse…

En tant qu’antispéciste végane, je ne suis par définition pas très copain avec les chasseurs. Et depuis aujourd’hui, encore moins. Explications.

Ce dimanche matin, mon ami, son chien et moi profitons d’une journée qui s’annonce belle pour aller marcher dans le maquis catalan. Le sentier nous emmène à travers de superbes champs d’amandiers en fleurs, dans une région un brin sauvage. Hormis quelques détonations de temps à autre, le calme et le chant des oiseaux sont un régal. À la lisière d’une forêt, nous croisons un chasseur qui nous fait signe que c’est une zone de chasse. Il nous chuchote que nous pouvons passer, à nos risques et périls (Ça c’est du conseil !), mais nous préférons rebrousser chemin. D’autant plus que nous avons avec nous un magnifique setter irlandais à la robe châtaigne qui pourrait facilement titiller les pulsions meurtrières d’un braconnier frustré à la gâchette facile. Plus loin, nous rejoignons un sentier balisé de grande randonnée (GR) et, à nouveau, nous apercevons au loin un rabatteur qui fait le guet. Il nous salue de la main, puis tire trois coups en l’air, ce que nous interprétons comme un signal à ses collègues qu’il y a des touristes dans les parages. Nous continuons donc notre randonnée, pensant être en sécurité. Soudain retentit une détonation assourdissante et je ressens immédiatement plusieurs impacts dans mon bras droit et mon dos. Je me jette à terre en position fœtale, la tête entre les mains, pensant que nous avons essuyé un tir de grenaille. Le sang commence à couler le long de mon bras et mes oreilles sifflent à cause du bruit : le coup de feu était si violent que le tireur ne devait être qu’à quelques dizaines de mètres. Mon ami, également sonné, mais gardant tout son sang froid, réagit immédiatement, vient s’enquérir de mon état, puis appelle les secours. Il fait également venir un des chasseurs, qui arrive un fusil à lunette sur l’épaule, le souffle court et les jambes tremblantes. Tous les trois abasourdis (et le chien aussi, probablement), nous tentons de comprendre ce qui s’est passé. Je demande au traqueur si ses collègues et lui utilisent de la grenaille, mais il répond par la négative, me montrant sa munition : des balles à champignonnage, un terme assez mignon pour désigner un projectile expansif à tête creuse, qui se déforme et « s’ouvre » à l’intérieur du corps pour faire plus de dégâts. (Tout mon amour à la personne qui a mis au point ce petit bijou létal.) La balle n’a donc fait que ricocher sur un rocher, explosant en morceaux dans notre direction. Nous demandons bien sûr à notre nouvel ami si c’est lui qui a tiré, mais il nous affirme que non, qu’il est meilleur que son collègue et que s’il avait tiré, nous serions morts. (En voilà une réponse rassurante !) L’homme nous emmène aux urgences où je suis rapidement pris en charge. J’ai neuf blessures, toutes superficielles, mais encore trois éclats métalliques sous la peau. Le médecin peut en retirer un, mais les deux autres sont trop profondément incrustés. Un examen de mon sac à dos révèle d’autres impacts, dont un trou assez sérieux : un projectile (peut-être la balle) a traversé mon sac depuis le côté et est ressorti entre les deux bretelles, à quelques centimètres de ma nuque. Je ressors des urgences avec quelques points de suture, des habits maculés de sang, un t-shirt troué, deux éclats de balle sous la peau et un souvenir mémorable de la Catalogne.


Comme je suis encore un peu trop ému pour vous parler de la fonte des glaces, du réchauffement climatique et de la sixième extinction de masse, je vous laisse tranquilles. Je ne vais pas non plus profiter de cette mésaventure pour vous faire une morale de végétalien, ni pour condamner cette pratique qui me parait décidément barbare (quoique ça me démange), mais la prochaine fois que vous mangerez de la chasse (pas un lundi ! ^^), vous aurez une petite pensée pour le pauvre animal moins chanceux que nous, dont la chair baigne dans la sauce aux airelles, entre les spätzlis et la poire au vin…

Sur ce je vous laisse, j’ai une vie à savourer…

Privilégions les outils qui ne requièrent pas d’autre source d’énergie qu’un peu d’huile de coude.

Géonef #3 

Le second souffle de l’écologie

L’automne, c’est la saison des vendanges, de la grippe et des feuilles qui tombent. Et comme ça fait un excellent paillage pour le potager, je les ramasse et j’en tapisse ma glèbe. Pour gagner du temps, nous envisageons l’achat d’une souffleuse, électrique bien entendu, pour que nous puissions la recharger grâce à l’énergie produite par les panneaux solaires.

Décidés à en savoir plus sur ces appareils, nous nous rendons dans un magasin d’outils de jardinage, sorte de Disneyland pour hommes (pfff, les clichés). On nous en propose un modèle en nous signalant que le point faible de ces jouets électriques réside dans l’autonomie : dix-neuf minutes. C’est bien un truc d’homme, ça, parce que je connais peu de femmes qui choisiraient un jouet électrique avec une autonomie de seulement dix-neuf minutes… Il nous faut donc acheter une deuxième batterie pour pouvoir continuer à travailler pendant que la première recharge. Total de l’addition pour la souffleuse, le chargeur et deux batteries : sept cents euros ! [Bruit de caisse enregistreuse] Sept cents euros !? Avec ça, on peut acheter 7,8 kilomètres de papier-toilette (soit la distance Renens-gare – Lausanne-Flon en métro M1) ou trente-cinq heures de manège individuel devant le supermarché (le kiddie-ride, vous savez ces voiturettes en plastique qui bougent et font de la musique pour occuper votre enfant pendant que vous comptez vos points Cumulus). Imaginez : vous mettez votre enfant dans le manège avec sept cents euros (en pièces de cinquante centimes, s’il vous plait) et quand vous revenez, il a vieilli, il a rempli la voiturette de vomi à force d’avoir été bercé dans tous les sens et il a de l’acouphène à vie à cause de la musique débile qui a tourné en boucle durant l’équivalent d’une semaine de travail en France. Mais revenons à nos souffleuses…

Le pire, c’est que cette souffleuse à sept cents euros produit beaucoup de bruit, mais à peine autant de vent qu’un gros sèche-cheveux. Devant notre air dubitatif, le vendeur pense qu’il pourra nous vendre l’équivalent à essence et nous propose donc de comparer les deux modèles à l’extérieur, sur une flaque d’eau. Sans surprise, le premier produit quelques petites ridules à la surface de la mare, un souffle tout juste bon à ébouriffer un scarabée. Vient le modèle à essence, moitié moins cher, une Stihl BG 86. Et là, c’est la tempête ! Alors oui, c’est bruyant. Oui, ça pue. Mais cet appareil créé un véritable tsunami et déplace carrément la flaque sur le parking ! Ça fait longtemps que je n’ai plus regardé Le Prince d’Égypte, mais si vous voulez mon avis, Moïse, quand il a ouvert la mer Rouge en deux, il n’avait pas un bâton de berger, mais une Stihl BG 86 dopée au Shell V-Power ! Et heureusement que Greta n’est pas née 3000 ans plus tôt, parce qu’il aurait moins fait le malin, le prophète, avec sa souffleuse électrique asthmatique et l’armée égyptienne à ses trousses : « Euh, les gars, vous allez rire, mais la souffleuse électrique, ça marche pas comme prévu, en fait. Quelqu’un a un bâton ? »

Mais revenons (encore une fois) à nos moutons et à notre dilemme : une souffleuse chère et inefficace, mais électrique, ou une moitié moins chère, puissante, mais qui pollue. Nous choisissons finalement… un balai à treize euros vingt !

Et c’est très bien comme ça, parce que d’après les expert·es, nous devons réduire à zéro nos émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2050. Faute de quoi, d’ici 2060, en Suisse, les températures moyennes auront augmenté de 4,5 °C, les précipitations auront diminué de 25 % et nous aurons en moyenne dix-huit jours de chaleur intense par an. Cela signifie la disparition des petits glaciers, la fin du ski dans la plupart des stations, des feux de forêts plus fréquents, l’extinction de nombreuses espèces animales et végétales, une diminution des récoltes et une prolifération des maladies infectieuses apportées par des moustiques tropicaux. Des détails et des vidéos en neuf minutes de lecture ici.

Super, merci pour les mauvaises nouvelles, Martin ! Et maintenant qu’on a le moral au fond d’un rapport du GIEC, on fait quoi, concrètement ? Comme nous devons nous passer des énergies fossiles d’ici trente ans et que nous n’avons pas de solution de rechange, il nous faut absolument revoir notre mode de consommation. Ça veut dire quoi, je garde ma vieille voiture diesel ou j’achète une électrique ? Gardez la vieille ! Mais quand c’est possible, prenons le vélo ! 🙂

Sur ce, je vous laisse, j’ai une terrasse à balayer…

Renouvelables ou fossiles ? Notre avenir dépend du choix de nos sources d’énergie…

Géonef #2 

Un coup de chaud qui jette un froid

Malgré un climat méditerranéen, le mois de novembre est plutôt frisquet. Manque de chance, le chauffage au sol ne fonctionne pas. Il y a bien un poêle à bois dans la cuisine, mais nous n’avons pas de bois ! Autant vous dire, avec un fourneau à disposition, mais pas de combustible, on se sent un peu comme Homo ergaster à son premier barbecue… avant la maîtrise du feu. Tiens ! Ce son, ce rythme… serait-ce un concert de castagnettes ? Non, ce sont nos dents qui claquent !

Un rapide examen de l’installation de chauffage au sol révèle quelques surprises : le mélangeur eau chaude-eau froide qui contrôle la température de l’eau dans le circuit est monté à l’envers (nous mettrons cela sur la compte de l’étourderie), les tuyaux « chaud » et « froid » qui mènent au bouilleur, pourtant clairement marqués d’une bague rouge et bleue respectivement, sont inversés (cela, nous le mettrons sur le compte du daltonisme) et, le meilleur pour la fin, c’est le tuyau d’eau froide qui est isolé ! (Non, ça, désolé, j’ai beau chercher…) Je ne sais pas qui a installé le chauffage, mais s’il est payé pour faire de l’eau chaude, ce n’est pas lui qui l’a inventée…

Passés la surprise et le désespoir devant ce monumental échec de l’histoire de la plomberie, nous nous résolvons à nous servir des poêles à bois en attendant de mettre un peu d’ordre dans la tuyauterie. Pour les alimenter, nous prenons rendez-vous avec Ernesto, figure notoire qui, d’après ce qu’on raconte, gère la plupart des commerces du village en plus de vendre du bois de chauffage. Par une matinée pluvieuse et triste comme une batterie de smartphone vide, nous nous rendons à son entrepôt. Pas d’Ernesto. Pendant que nous attendons sous la pluie au milieu des hangars, nous regardons ses tas de bois de chauffage, vendu au poids, prendre de la valeur au fur et à mesure qu’ils se gorgent d’eau…

Téléphone. Ernesto nous donne rendez-vous au café du coin. Nous nous y rendons aussitôt, bien contents d’aller négocier le prix du bois humide au sec. Lorsque nous entrons dans le bistrot, toutes les têtes se tournent vers les étrangers qui pénètrent avec un courant d’air froid. Comme nous n’avons jamais vu Ernesto, nous fixons tour à tour chaque personne avec insistance en espérant que lui nous reconnaîtra comme les intrus. Mais à part le groupe de vieillards édentés qui jouent aux cartes une mise tout juste assez élevée pour payer un deuxième café au gagnant et un groupe de commères qui échangent les ragots, pas trace de notre homme. Les vieux retournent à leur partie de cartes muette et les femmes à leur discussion (un peu moins muette). Nous nous asseyons à une table et attendons. Arrive enfin un petit homme trapu, borsalino vissé sur la tête, gilet de laine et chemise violette largement échancrée sur une toison grisonnante. Le cuir tanné par le soleil et les doigts épais et caleux lui donnent des allures d’olivier centenaire. Je commence à me lever pour lui serrer la main, mais je m’interromps dans une sorte de demi-flexion peu naturelle ; assis, je suis presque aussi grand que lui et son air de gangster me dissuade de le prendre de haut. Nous commandons des cafés, lui, un verre de rouge ! Pourquoi pas, il est presque dix heures trente du matin, après tout.

Après un monologue théâtral, quelques larmes hollywoodienne et un autre verre de vin, nous arrivons à recentrer la conversation autour de la raison de notre rendez-vous et nous nous mettons d’accord pour deux tonnes de bois de chauffage, livrées après le retour du soleil…

Tiens, puisque nous parlons de chauffage… Une équipe de chercheur·euses français·es a actualisé les prévisions concernant le réchauffement du climat. Et vous vous en doutez, ça n’est pas une bonne nouvelles… Dans le pire scénario (autrement dit, si nous continuons comme aujourd’hui), les températures augmenteront de 7 °C d’ici 2100, les canicules deviendront la norme d’ici 2050 (15 000 mort·es en France durant celle de 2003 quand même), assorties de longs épisodes de sécheresse sous nos latitudes, des feux de forêt plus fréquents et la disparition de la banquise arctique en été. Franchement, quand on sait qu’en plus du milliard d’animaux morts asphyxiés ou carbonisés dans les incendies australiens, plusieurs koalas survivants ont dû être euthanasiés parce qu’ils avaient des brûlures au pattes et que leurs griffes avaient fondu, on n’aimerait pas que ça arrive à nos lynx. Sans compter qu’il faudra sérieusement revoir notre manière de produire notre nourriture… Deux minutes de lecture pour avoir les détails ici.

Super, merci pour les mauvaises nouvelles, Martin ! Et maintenant qu’on a le moral au fond d’une facture de mazout, on fait quoi concrètement ? Bon, comme nous avons déjà choisi un jour fixe de la semaine sans viande, nous avons fait un immense pas en avant vers la réduction de notre empreinte carbone. Vous êtes tranquilles jusqu’au prochain épisode. Bon si vous insistez, vous pouvez toujours chronométrer vos douches. Une gommette à toutes celles et ceux qui restent en-dessous de quatre minutes !

Sur ce, je vous laisse, j’ai deux tonnes de bois à couper…

Geonéf #1

Le vaisseau terrestre

Le voyage à vélo, c’est le pied géant ! La liberté, la découverte, l’aventure… Surtout en été. Mais quand il commence à pleuvoir régulièrement, que les campings sont fermés et que l’eau des rivières commence à fraîchir, l’aventurier redevient douillet. Et puis on ne change pas le monde en cuissard de lycra moulant. Sauf si on porte une cape et qu’on s’appelle Superman. Mais comme je n’ai pas de slip rouge par-dessus mon lycra, ni de superpouvoirs, je me suis dit que j’irai faire de la permaculture en Espagne.

Ainsi, à peine rentré en Suisse, j’ai commencé à chercher des fermes hôtes pour faire du « wwoofing » (du bénévolat dans une ferme biologique, si vous préférez). Moins d’une semaine après ma décision, un ami annonce son projet de transformer une résidence espagnole en maison autonome et il cherche de la main d’œuvre ! Jackpot, je signe !

Me voilà donc parti pour l’Espagne, pays du flamenco (¡Olé!), de la paella (Miam !) de Penélope Cruz (Grrr…) et de la corrid… (et meeeeeeerde !) Dans un pays où l’on considère que c’est « amusant » d’aller voir torturer à mort un taureau à coup de banderilles dans l’échine et d’épée dans le cœur, je sens que j’aurai droit à quelques débats animés autour du véganisme. J’ai donc plutôt intérêt à apprendre rapidement la langue. Malheureusement, je n’ai à ce jour absolument aucune notion d’espagnol. (En vrai, je sais dire « Nos bebemos la leche », que j’ai appris en 2014 dans des circonstances obscures et qui veut dire « Nous buvons le lait », ce qui ne me sera pas d’un grand secours dans le débat pour justifier ma position d’antispéciste). Ça promet !

En même temps, je ne vais pas en Espagne pour faire du prosélytisme, mais pour apprendre la permaculture. Arrivé à la gare de Barcelone, je commence donc directement par composter… mon billet de train ! 🙂

(En revanche, mes jeux de mots sont bons pour la poubelle, sans espoir de recyclage…)

Arrivé de nuit sur mon lieu de travail, je ne découvre véritablement le site que le lendemain : la propriété compte trois maisons et il y a tellement de pièces qu’on pourrait faire l’amour dans une salle différente pendant un mois. Ou héberger une équipe de rugby. Mais comme je ne connais pas d’équipe de rugby…

Le lendemain, on m’explique le topo : transformer la résidence en géonef. En géo-quoi ? En géonef, ou « earthship », en français du XXIe siècle. Mais comme on risque le claquage du génioglosse ou de cracher son dentier en essayant de prononcer « earthship », je me suis dit que le recours au mot français était amplement justifié. Mais, euh, Martin, c’est quoi exactement, cette géochose ? Une géonef est une habitation respectueuse de l’environnement, généralement construite à base de matériaux recyclés (pneus usagés, bouteilles en verres, etc.) et autonome en énergie, en eau et parfois même en nourriture. Bon, dans le cas présent, la maison est déjà construite, donc on ne va pas abattre les murs pour empiler des pneumatiques de Seat Ibiza à la place, mais plutôt chercher à générer de l’électricité grâce à des panneaux solaires, récupérer l’eau de pluie et les eaux grises, et utiliser les principes de la permaculture, de l’agroforesterie et de la biodynamie pour faire pousser une partie de notre nourriture.

Mais, euh, Martin, pourquoi se compliquer la vie et se salir les mains quand on peut aller acheter sa nourriture à la Migros et en plus, gagner plein de points Cumulus ? Eh bien comme l’agriculture conventionnelle flingue littéralement la planète, il faut trouver des méthodes alternatives pour nourrir le monde. Et j’ai envie de voir si ça marche en vrai. Parce que le temps presse… Selon l’ONU, nous n’avons plus une minute à perdre (enfin, si, cinq, le temps de lire ceci). Afin de pouvoir respecter l’Accord de Paris et éviter une catastrophe climatique, le monde doit réduire ses émissions de CO2 de 7,6 % par an durant la prochaine décennie. Sinon quoi ? Sinon, la température moyenne augmentera de plus de 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle, entraînant une recrudescence des vagues de chaleur mortelles, des tempêtes dévastatrices, des sécheresses, des incendies incontrôlables et j’en passe. Petit problème : la pollution croît chaque année depuis dix ans et nous avons déjà augmenté la température moyenne de 1 °C depuis 1850 et, au rythme actuel, nous devrions atteindre 3,4 à 3,9 °C d’ici 2100. Autant vous dire que les esquimaux et les ours polaires grimacent. Et la Suisse ne sera pas épargnée.

Super, merci pour les mauvaises nouvelles, Martin ! Et maintenant qu’on a le moral au fond d’un ballon-sonde météorologie, on fait quoi, concrètement ? Bah comme tout le monde, nous devons réduire nos émissions de CO2 de 7,6 % par rapport à l’an dernier. Alors si nous commencions par choisir un jour sans viande ni poisson, hein ? Attends, tu ne serais pas en train d’essayer de nous convertir à ta secte de suceurs de cailloux ? Allez, un jour, pourquoi pas le lundi ? Mais pas de viande du tout, hein ! Pas de lardons dans la carbonara, pas de jambon dans le sandwich de la Coop Pronto du midi, ni même de taillé au greubons. Un jour par semaine, c’est facile, non ? 7,6 %. Nous pouvons le faire. Nous devons le faire. Pour nos enfants. Pour la Planète. Pour nous.

Sur ce, je vous laisse, j’ai un petit creux, je vais aller lécher des galets, tiens…

Martin Gunn, qui croit être minimaliste, croit aussi qu’il est un aventurier depuis qu’il a parcouru 6000 kilomètres à vélo, l’été dernier, à travers douze pays d’Europe, en passant notamment par la Scandinavie, la Grande-Bretagne et le Benelux.

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