La santé à l’américaine?
Enfin un regard critique sur le projet Réseau de l’Arc que l’on nous concocte dans la plus parfaite opacité. Swiss Medical Network , membre de la multinationale Avis, Visana une des plus grande caisse maladie et le Canton de Berne proposent d’un seul élan, un modèle révolutionnaire en matière de santé, rien de moins. Mais qu’en est-il vraiment?
Le Réseau de l’Arc se présente comme la révolution du système de santé suisse. Il réunit le plus gros groupe de cliniques privées suisses, Swiss Medical Network (SMN), l’assurance maladie Visana et le canton de Berne et propose un nouveau modèle de financement des soins dans l’Arc jurassien. Cette petite famille a accouché de « VIVA que celle-ci», une « nouvelle » forme d’assurance maladie, ou plutôt d’assurance santé. Soins intégrés, prévention, primes plus basses, comment résister à cette belle histoire?
Surtout que celle-ci commence avec des critiques pertinentes de notre système de santé. C’est vrai, les hôpitaux sont incités à offrir toujours plus de prestations et de traitements, ce qui contribue à augmenter les coûts de santé, sans forcément apporter de bénéfice clair à la population. Les primes des assurances maladie représentent une charge toujours plus lourde, impayable pour une grande partie de la population, avec environ 30 % de celle-ci qui ne peut s’en sortir sans subsides d’État pour les payer. Ainsi les contribuables paient le coût d’un système dysfonctionnel qui continue à profiter au secteur des assurance complémentaires privées. La prévention et promotion de la santé ne représente que 2 à 3 % des coûts du système de santé.
La recette : des prestations minimalistes et les « bons risques »
Si les constats sont justes, pourquoi la solution proposée ne l’est-elle pas? Il y a plusieurs problèmes importants. Une assurance santé entre dans le capital-action d’un réseau d’hôpitaux et de prestataires de soins. En devenant actionnaire, l’assurance participe aux décisions stratégiques. L’assureur devient quelque part « l’employeur » des prestataires de soins, ce qui crée un conflit d’intérêt majeur. L’intérêt d’une assurance santé est-elle la même que celle d’un-e patient-e? Dans de nombreux cas la réponse est non, et cela peut mettre les médecins et personnels de santé dans une situation délicate. Si dans le modèle actuel, un hôpital peut être tenté d’offrir le maximum de soins par les incitations financières, dans ce modèle alternatif, il est tenté d’en offrir le minimum. Le réseau a intérêt à trouver des «bons risques», c’est à dire des personnes en bonne santé, avec quelques prestations de prévention bon marché pour tenter de les maintenir en bonne santé. Pour les malades coûtant trop cher au système, il y aura un intérêt à les faire sortir de ce modèle. A offrir des conditions défavorables pour qu’ils changent de caisse.
Risque monopolistique?
Renverser les incitations pour aboutir à un système pire encore? L’argument utilisé comme garant de la qualité, disant que si les patient-e-s ne sont pas contents, ils n’ont qu’à changer de caisse, ne garantit aucune qualité. Malgré cela, le groupe aura une situation de quasi-monopole dans une région où les médecins généralistes et prestataires de soins viennent cruellement à manquer. Ce sera peut-être bientôt le seul moyen d’avoir un accès garanti à un médecin de famille. Un monopole privé de la santé, qui considère votre santé comme un capital sur lequel elle peut tirer des bénéfices. C’était d’ailleurs un des principaux arguments lors de la votation de juin 2012, ayant abouti au rejet à plus de 76 % d’une proposition de loi visant déjà à mettre en place des réseaux de soins – pour l’originalité et l’innovation on repassera.
Alors, santé à l’américaine?
A-t-on vraiment besoin de big money et de financiers hors-sols pour résoudre nos problèmes de santé publique? SMN appartient en majorité à Aevis Victoria, un groupe actif dans l’hôtellerie de luxe, l’immobilier et les cliniques privées. Le groupe a récemment vendu 10 % de son capital à Medical Properties Trust, un des plus grands propriétaires de cliniques privées aux États-Unis. Rappelons le désastre du système de santé américain, qui a abouti ces dernières années et pour la première fois dans un pays industrialisé à une baisse de l’espérance de vie! Est-ce vraiment l’exemple à suivre, la révolution qui nous sauvera?
Et c’est sans compter les conditions de travail pour les personnels de santé, dont on manque cruellement partout. Kaiser Permanente, l’exemple sur lequel se base le réseau de l’Arc, a causé une grève historique aux États-Unis, la plus large rapportée dans le domaine de la santé, pas plus tard qu’en octobre de cette année! Les syndicats dénonçaient notamment des pratiques de travail abusives, la sous-traitance et l’externalisation, la pénurie de personnel et la sécurité des patient-e-s et du personnel.
La santé, un service public à réinvestir de toute urgence
Le public se désinvestit et laisse des trous béants dans notre couverture santé que le privé s’empresse de remplir. Notre système de santé est malade, il faut une réforme en profondeur, il faut le révolutionner. Ne nous laissons pas abuser pas le marketing de l’innovation et de la soi-disant modernité : nous avons beaucoup à perdre à abandonner notre santé à des méga-groupes privés. Pour eux, notre santé est un produit, quoi qu’ils disent. C’est au public, aux citoyens de se mobiliser pour investir intelligemment dans la santé et répondre aux problèmes de notre temps dans l’intérêt de la population. En créant une caisse maladie publique et unique, une vraie politique de prévention, une meilleure connexion entre les acteurs de santé. En finançant correctement les hôpitaux et en investissant dans le personnel de soin. Ce que propose le Réseau de l’Arc n’est pas une révolution, c’est un mirage, un coup financier, une monétisation de la santé qui comporte des risques pour la qualité de la couverture de soin et ne réduira pas les coûts.
Texte:
Maurane Riesen, La Neuveville, Députée au Grand Conseil bernois depuis 2018, membre du Conseil du Jura bernois, docteure en épidémiologie. Travaille à l’Office fédéral de l’environnement sur des sujets de santé publique. Membre du SSP et vice -présidente du PS bernois.
Illustration:
Andreas Bachmann