A quand un « coming out » climatique de nos élus ? Si j’avais écrit à Alain Berset

Comme l’affirment de nombreux experts, la situation actuelle sans précédent est une opportunité exceptionnelle d’effectuer le virage radical dont notre monde a besoin. Qui peut donc initier ces changements à large échelle ? Assurément les personnes qui nous gouvernent. Afin de favoriser ce que Jacques Dubochet appelle le «coming out climatique» de nos décideurs, pourquoi ne pas prendre chacun.e notre plus belle plume pour nous adresser personnellement à l’élu.e de notre choix ?

La déstabilisation d’un équilibre inhérente à une crise est une fenêtre temporelle pour repenser certaines façons de faire et implémenter le changement. Nous avons collectivement l’opportunité de vivre ce constat au quotidien depuis que nous ne nous serrons plus la main, restons à distance et réfléchissons à deux fois avant d’organiser une rencontre avec d’autres personnes. Fin mars, j’ai brutalement et concrètement pris conscience à quel point le potentiel de notre gouvernement est immense pour initier des changements radicaux pour le bien commun. Notre ministre de l’intérieur s’est démarqué sur ce point dans la gestion de la crise corona. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes revendiquent un monde durable dans la rue, dans les médias, dans des associations, dans des partis politiques, dans toutes sorte de contextes. Pourtant tout se passe comme si les politicien.ne.s avaient des priorités plus urgentes. Faudrait-il directement s’adresser à ces personnes pour que des décisions radicales se prennent afin de protéger le vivant ?

Si j’avais écrit à Alain Berset, je l’aurais d’abord sincèrement remercié pour son engagement, son humilité et sa force de conviction en ces temps difficiles. Puis je lui aurais dit que la destruction et la fragilité des écosystèmes est pointée par un nombre grandissant d’experts comme un facteur favorisant l’apparition d’une pandémie. Pourquoi ne pas capitaliser sur son efficace communication et saisir cette occasion unique pour positionner la Suisse comme leader des initiatives de transition vers la société décarbonée ? En effet, par son ton rassembleur, je trouve qu’il a créé des conditions favorables à une acceptation des changements. Son discours transparent m’a donné le sentiment que le bien commun était au centre de sa stratégie. J’en ressors d’autant plus convaincue qu’humilité et charisme sont des éléments clés de la gouvernance d’un monde solidaire et durable.

Dans une récente interview, Dominique Bourg analysait : « Le Covid-19, c’est une infection qui contraint au civisme ». En imposant un ralentissement par des comportements citoyens volontaires, nos gouvernements ont mis en oeuvre ce que « les écologistes » réclament depuis longtemps : imposer des mesures courageuses mais nécessaires pour sauver des vies. Aujourd’hui je sais que demander aux citoyens de sacrifier un bout de leur liberté individuelle pour le bien commun, c’est possible. En menant une politique responsabilisante, on atteint des résultats impressionnants. Autre requête de la cause environnementale que l’on a enfin vue se réaliser : l’Etat donne une voix centrale aux scientifiques. On leur fait confiance et on suit leurs recommandations.

En effet, si je m’étais adressée à Alain Berset, j’aurais eu envie de l’interpeller sur ce point : pourquoi ne procède-t-on pas de la même manière avec les informations provenant des experts de toutes branches scientifiques sur les questions écologiques ? Celles-ci sont tout aussi fiables qu’extrêmement alarmantes et les conséquences d’un laisser-aller seront bien pires que celles du coronavirus. Limiter un réchauffement climatique à 1,5 degré implique des changements radicaux et urgents. Seules de courageuses décisions politiques permettront de diminuer de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre. Quelles sont les mesures prises par la Suisse, signataire des accords de Paris, qui soient à la hauteur de cet enjeu ? Entre autres mesures à tous les niveaux, ne pourrait-on pas responsabiliser les citoyen.ne. s suisses qui ont en moyenne ont un bilan carbone individuel cinq fois plus élevé que celui d’un monde durable ?

De même qu’Alain Berset a rappelé aux Suisses et aux Suissesses qu’il n’était pas responsable de voyager à Pâques alors que les écoles, les commerces et de nombreuses entreprises étaient fermées, je trouve qu’il serait également irresponsable de la part de mon gouvernement de ne proposer qu’un « simple » plan de relance pour sortir de la crise. Car une telle relance ne ferait que renforcer le dérèglement climatique, la croissance des inégalités et potentialiser une nouvelle pandémie. Si je lui avais écrit, je lui aurais partagé ma conviction qu’il saura trouver les mots pour communiquer au peuple suisse que la situation climatique, malgré les apparences, est grave et urgente et qu’elle nécessite l’effort de tous. Qu’elle implique de repenser notre rapport à la consommation, à l’alimentation, à la mobilité, au temps et au travail.

Pour atteindre cet objectif, je lui suggérerais, comme pour la crise du coronavirus, de s’appuyer sur les experts qui ont déjà pensé le monde « de demain ». Ceci afin d’élaborer une stratégie qui définisse un modèle sociétal et économique plus résilient face aux crises globales et surtout qui respecte les limites de notre environnement. Pourquoi ne pas commencer par un signal fort : premièrement minimiser le soutien à l’aviation touristique qui n’est pas une économie de première nécessité et qui est extrêmement polluante. Deuxièmement, soutenir massivement la relocalisation et le développement d’une agriculture nationale et écologique. Ainsi le sentiment de frein à la liberté de déplacement serait notamment compensé par l’intérêt de voir se développer la sécurité et la souveraineté alimentaire. Et ces mesures soutiendraient et redonneraient de la considération au secteur de l’agriculture mis à mal ces dernières décennies alors qu’elle répond à nos besoins vitaux.

Si j’avais écrit à Alain Berset, je lui aurais finalement transmis toute ma confiance en la culture travailleuse de la Suisse, sa réputation d’innovation et son sens du civisme pour apporter au monde l’exemple d’une gouvernance axée sur une transition écologique forte et démocratique.

Vraiment, il serait dommage qu’un tel charisme ne puisse pas être mis à profit pour le plus grand défi de l’humanité. Si seulement le monde pouvait changer de visage grâce au coming-out climatique de nos élu.e.s, pourquoi pas avec le coup de pouce de lettres citoyennes !

Sophie Perdrix est membre de Transition Biel/Bienne et de Vision 2035. Elle s’engage pour un changement individuel et volontaire des modes de vie au travers de l’animation de conversations carbone. Cependant, elle apprécierait fortement le soutien des politicien.ne.s pour atteindre cet objectif!