Une autre économie existe ! – 4ème partie

A nouveau modèle de pensée, nouvelle façon de fixer son prix. C’est ce qu’expérimentent plusieurs organisations actives dans la transmission de savoirs. L’Instant Z est l’une d’entre elle et David Dräyer, co-fondateur de cet organisme de formation et d’accompagnement en gouvernance partagée, présente dans cette rubrique  une pratique encore peu répandue : vendre des formations à un prix « libre »

La place de l’argent et le pouvoir que nous lui accordons sont questionnés de multiples façons dans nos sociétés par des organisations ou des associations qui explorent et expérimentent les alternatives à ce que nous connaissons : monnaies locales, systèmes d’échanges, revenus de base, don, crowdfunding, crowdlending…

Dans l’entreprise de demain, de nouveaux modèles verront le jour, notamment en matière de rémunération : transparence sur les montants, modification individuelle ou démocratique de son salaire, primes collectives. Làaussi, le champ d’exploration est large si l’on est capable de miser sur la confiance en l’être humain.

Et c’est là aussi que l’on voit émerger de nouveaux modèles concernant le prix des produits et des prestations.

Il n’y a pas qu’une seule façon de définir un prix

Tout d’abord, déconstruisons l’idée qu’il n’y a qu’une façon de fixer le prix des biens vendus. Le marchandage, bien que peu présent dans nos sociétés occidentales, reste une pratique courante dans beaucoup d’endroits du monde.

Sous nos latitudes, les « actions » et autres promotions ont été favorisées. Qui n’a pas l’œil aux aguets pour repérer la bonne occasion, la réduction de 20, 30 ou 50 pourcents, le deux pour le prix d’un ? À tel point qu’on peut développer la sensation que lorsqu’on paye simplement le prix affiché, on se fait probablement avoir !

Ces différentes façons de faire exister la notion de prix sont à chaque fois associées à une façon spécifique de voir le monde :

  • “Je dois être le plus fort”, d’où une forme de confrontation pour la né
  • “Je dois être le plus malin”, d’où une forme d’opportunisme pour la promotion.
Nouveau modèle de pensée, nouveau modèle de paiement !

A nouveau modèle de pensée, nouvelle façon de fixer son prix. C’est ce qu’expérimentent plusieurs organisations actives particulièrement dans la transmission de savoirs, un domaine du tertiaire qui a l’avantage d’avoir la possibilité d’exister sans grands investissements financiers.

Ainsi, l’Université du Nous en France, les Artisans du Lien en Valais ou l’Instant Z en Suisse romande proposent des formations à « prix libre et conscient » depuis plusieurs années. Conceptualisé par l’Universitédu Nous, cette manière de fixer le prix est décomposée en deux parties :

  • La partie « frais fixes», qui couvre l’ensemble des coûts ré Dans le cadre de formations, il s’agit de location de salles, de transport, de supports de cours et d’autres éléments logistiques.
  • La partie « en conscience» couvre le temps engagé par les intervenants, c’est à dire leur salaire. Ce temps comprend bien sûr celui de leur présence physique sur le temps de la formation, mais également le temps de préparation et d’
Quelles valeurs derrière ce système ?

A l’Instant Z, nous avons fait le choix, dès le début de notre activité, d’explorer cette façon de faire. Même si notre pratique évolue année après année, nécessitant parfois d’adapter la forme pour répondre aux attentes de certaines institutions, les valeurs qui sous-tendent ce choix n’ont pas bougé et nous permettent d’affirmer que nous ne sommes pas prêts à l’abandonner.
Pour nous, trois axes spécifiques motivent cette approche :

Le prix nest pas la valeur. Trop souvent, le prix détermine la valeur que nous accordons aux choses. Lorsqu’il s’agit de choisir du vin, nous partons spontanément de l’idée que plus la bouteille est chère, plus le produit est bon. De la même manière, notre cadeau peut être reçu avec davantage de plaisir si le destinataire en connaît la valeur « prix ».
Avant de pouvoir déterminer le prix, cette démarche oblige chacun à se questionner sur la valeur de ce qu’il a reçu, celle-ci étant personnelle et contextuelle.

Accessibilité pour le plus grand nombre. Il n’y a pas toujours une adéquation temporelle entre nos revenus et nos besoins. Notamment dans le domaine de la formation, ce n’est pas lorsqu’on a un emploi stable et rémunérateur que l’on a nécessairement besoin de se former.
De même, de nombreuses associations actives dans des domaines fondamentaux pour le bien-vivre ensemble ne disposent que de moyens limités, qu’elles préfèrent consacrer à leurs projets.
Le paiement en conscience permet donc à chacun de définir ce qu’il paye en fonction de sa réalité financière. Les plus beaux moments que l’Instant Z a pu vivre par rapport à ce système, c’est lorsqu’une année plus tard un ancien participant effectue un versement pour compléter un montant qui correspondait à sa réalité du moment mais qu’il estimait inférieur à la valeur de ce qu’il avait reçu.

Confiance en lhumain et en la vie. La confiance en l’être humain est au cœur de nombreuses démarches alternatives. Après plusieurs siècles de doctrine oppressante sur l’homme fondamentalement mauvais, il est temps de tenter un autre chemin pour vérifier par nous-même si ce postulat est bien fondé.
Aujourd’hui, la méfiance coûte à nos sociétés des sommes pharaoniques. Il n’y a qu’à penser à toute l’énergie mise dans la comptabilité, la surveillance financière, le reporting, la police, les systèmes d’alarmes et toutes sortes de vérificateurs. Bien qu’aucun de ces éléments ne soit appelé à disparaître complètement, la confiance comme élément fondateur de nos sociétés pourrait nous permettre d’en alléger le coût et d’en simplifier le fonctionnement.

Quel bilan tirer ?

Rien n’est encore trop figé dans ce procédé de “prix libre et conscient”, et il existe de nombreuses façons de le mettre en place. Certains proposent de définir le prix à l’issue de la prestation, d’autres accordent un temps de réflexion de quelques jours après la fin de la formation.
La façon de présenter ce concept a un impact sur les montants encaissés et il s’agit de valoriser cette occasion pour en faire un élément pédagogique important. Il est également important de faire comprendre tout le travail nécessaire en amont et en aval pour aboutir à ce moment de présence partagé avec les personnes. Le sommet de l’iceberg.

À l’Instant Z, après 3 ans de pratiques, nous constatons deux choses :

  • Le prix payé par les participants est en dessous du prix du marché. Mais nous pouvons relativiser en tenant compte du public que nous touchons: essentiellement des associations et des collectifs engagés pour le bien commun et ne disposant pas de gros moyens financiers. Et les prix du marché de la formation professionnelle sont-ils une bonne référence ?
  • Le prix payé par les participants a tendance à augmenter années après anné Est-ce lié au fait que ce mode de paiement est de plus en plus connu, ou que la qualité de nos prestations s’accroît? À ce jour, nous ne formulons pas d’hypothèse.

Il reste un long chemin à parcourir et à explorer, que ce soit dans la façon de présenter et d’annoncer ce mode de financement ou dans l’éducation populaire qui permettra aux participants de se sentir à l’aise et en confiance au moment de définir le prix.

Mais le jeu en vaut la chandelle.

David Dräyer est formateur et coach pour l’Instant Z (instantsz.org), une structure qui propose d’accompagner les associations et les entreprises de l’économie sociale et solidaire dans des formes de management permettant d’offrir à ceux qui s’y trouvent la sécuriténécessaire pour exprimer pleinement leur potentiel et réaliser ce qu’ils ont d’unique. Il co-anime aujourd’hui une formation de 3 jours en gouvernance partagée à Bienne.