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La sobriété énergétique : un outil de résilience ?

Afin de « sauver » le climat, nos gouvernements proposent une transition énergétique qui consiste à substituer les énergies fossiles par de l’électricité renouvelable. Il en résulte un agenda politique où les changements sociétaux imaginés se traduisent surtout en termes de non-changements :
voiture électrique contre voiture à essence ; électricité solaire contre électricité charbonnée ou nucléaire.
À bien y regarder, nous ne sortirons certainement pas de la crise par une transition.
Un changement de paradigme est nécessaire : « moins », en lieu et place du « toujours plus » !

L’énergie au cœur de nos sociétés

Nos sociétés thermo-industrielles ont fait de l’énergie un élément central et vital. Central parce que notre économie ne peut s’en passer. Il n’est pas un objet de consommation qui ne porte en lui son quota d’énergie disponible en abondance et à bas prix, embarquée par l’extraction des matières premières qui le constitue, sa fabrication et ses multiples déplacements autour de notre monde globalisé. Vital parce que nous-même ne savons plus nous en passer. Éteindre son réveil, allumer la lumière, prendre une douche chaude, se faire un café et mettre la clé au contact, que de banalités matinales qui ne seraient pas sans énergie.

Énergie et climat

Notre consommation d’énergie a un lien direct avec la crise climatique. Les énergies fossiles que nous brûlons (pétrole, gaz et charbon) relâchent du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. Ce dernier présente les caractéristiques d’un gaz à effet de serre (GES) ; c’est-à-dire qu’il retient captif une partie du rayonnement thermique de la Terre. Ainsi, notre atmosphère se réchauffe.

Avec les sécheresses, vagues de chaleur et autres intempéries qui augmentent en fréquence et en intensité aussi chez nous, le dérèglement climatique s’est fait une place dans le débat public. Les énergies fossiles sont pointées du doigt. Pour sortir de la crise, nos gouvernements nous proposent une transition énergétique. Les carburants fossiles doivent être substitués par des nouvelles énergies renouvelables (NER : solaire, éolien, biomasse, géothermie…), bonnes pour le climat. L’imaginaire collectif est amené à croire qu’une électrification du monde nous permettra d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Conscience environnementale et marché carbone

La conscience environnementale ne date pas d’hier. En 1948 déjà, Fairfield Osborn alertait l’opinion sur les risques d’épuisement de la nature avec « La Planète au pillage ». La première conférence mondiale sur l’environnement a eu lieu à Stockholm en 1972. Elle a débouché sur la création du programme des nations unies pour l’environnement (PNUE). La même année, le Club de Rome publiait son rapport sur les limites à la croissance. En 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, la communauté internationale reconnaissait la nécessité d’une stratégie mondiale de protection du climat et rédigeait l’Agenda 21 avec une responsabilité commune et particulière des pays industrialisés. En 1997, le protocole de Kyoto fixait des objectifs de réduction d’émissions de GES contraignants pour les pays industrialisés et posait les bases d’un marché carbone. Pour donner suite au protocole de Kyoto, l’Union Européenne a créé le Emission Trading Scheme (ETS) en 2005 ; un système d’échanges de quotas d’émissions de CO2 ou de droits à polluer avec un plafond d’émissions régressif. Enfin, l’accord de Paris, adopté en 2015, vise la neutralité carbone pour 2050. L’objectif déclaré est de contenir le réchauffement à 1,5°C par rapport au niveau préindustriel. 

Force est de constater que le bal des COP (Conferences Of the Parties) et la marchandisation du carbone ne changent rien. En plus de continuer à augmenter, les émissions de GES s’accélèrent de manière dramatique. Avec les taux d’émissions actuels (estimés à plus de 1’300 tonnes de CO2 par secondes), le budget carbone que l’atmosphère peut absorber pour un réchauffement moyen de 1,5°C devrait être atteint dans moins d’une décennie.

Baromètre CO2 : Le baromètre indique en proportion, la quantité de CO2 que l’humain a ajouté dans l’atmosphère depuis la révolution industrielle. Le haut du baromètre indique la quantité de CO2 qui entrainerait selon le GIEC une augmentation moyenne de la température de 1,5°C. Nous nous en approchons à la vitesse grand V.
Un seul indicateur et une course à la croissance

L’objectif de neutralité carbone et la mise en place d’un marché carbone incitent à mesurer les performances environnementales de nos activités économiques à l’aide d’un seul indicateur : l’intensité carbone. La consommation énergétique n’est pas considérée ; les acteurs économiques peuvent acheter des droits d’émettre à un prix dérisoire (5-25 € par tonne de CO2), délocaliser leurs activités polluantes ou alors passer à un approvisionnement en NER, labellisé bas carbone. 

Malgré les constats d’échecs, rien de notre système nourri à la croissance économique n’est remis en question. Les politiques placent la relance par l’innovation technologique avant tout. Les appels aux investissements massifs pour accélérer le « Green New Deal » se multiplient. Résultat : une stratégie énergétique 2050 qui fait la part belle aux NER et à la numérisation totale à travers l’internet des objets, promettant villes intelligentes et efficacité énergétique.

Ainsi, dans sa stratégie climatique à long-terme, la Suisse présente comment diminuer ses émissions liées au transport tout en considérant une mobilité qui continue d’augmenter. Elle propose de remplacer l’entier du parc de véhicules de tourisme (VT) par des véhicules électriques, évidemment chargés aux NER. Alors que le nombre de VT en Suisse a augmenté de 2,3 millions d’unités ces 40 dernières années, notre stratégie climatique prévoit 4,5 millions de nouveaux VT électriques pour ces 30 prochaines années ! Dans son tout ménage de juillet 2020, ESB (Energie Service Biel/Bienne) incitait à sauter le pas pour adopter la mobilité électrique en affirmant : « Si tous les véhicules dotés d’un moteur à combustion étaient remplacés par des versions électriques, la consommation d’électricité sur le plan national augmenterait de 20% maximum. Comme la transition s’opère progressivement, il n’y a là rien d’insurmontable, même avec des énergies entièrement renouvelables. […] Le tournant énergétique ne consiste pas à consommer moins d’électricité, mais moins d’énergie (fossile). »

Le problème des quantités

Au niveau mondial, les énergies fossiles représentent 84% de l’énergie consommée. La puissance hydraulique et nucléaire se partagent environ 11%. Viennent ensuite les NER, en forte augmentation, mais toujours avec moins de 5%. Si ces proportions restent relativement stables durant les dernières décennies ; en valeur absolue, les quantités ne font qu’augmenter. L’humanité a consommé plus d’énergie ces 30 dernières années, que de la révolution industrielle à 1990. 

En 2019, la consommation mondiale d’énergies fossiles s’élevait à 492 EJ. Pour essayer de comprendre à quoi cela peut bien correspondre, en admettant qu’il soit possible d’installer chaque jour une centrale ayant la puissance d’un réacteur nucléaire de dernière génération (1 GW), il faudrait 43 ans pour substituer ces 492 EJ d’énergies fossiles par des centrales électriques.

Au niveau Suisse, les énergies fossiles dominent le mix énergétique avec environ 65% de la consommation totale. L’électricité représente 25% du mix (composé d’environ 60% d’hydraulique et 30% de nucléaire). Les 10% restant sont constitués de chaleur à distance et autres énergies renouvelables (bois, biogaz, pompes à chaleur…). En 2019, la consommation d’énergie totale de la Suisse atteignait 834’210 TJ ; ce qui correspond à la production (fictive) d’environ 60 de nos réacteurs nucléaires. C’est beaucoup.

Les perspectives énergétiques 2050+ de la Suisse considèrent que notre consommation de courant passera de 65 TWh/a actuels à 85 TWh/a d’ici à 2050. Les projections prennent en compte la sortie du nucléaire en planifiant un déficit de 25 TWh/a d’ici à 2035. La puissance hydraulique suisse étant proche du maximum possible, un développement d’environ 5 TWh/a est prévu d’ici à 2050. C’est donc les NER qui complètent le mix électrique en passant de 4 TWh/a (déployé durant ces 20 dernières années) à 40 TWh/a d’ici à 2050.

Consommation d’énergie en suisse : La barre du haut indique en proportion les sources d’énergies consommées en Suisse en 2019. La barre du bas illustre les objectifs d’électrification pour la transition selon la stratégie énergétique 2050+. Force est de constater que l’électricité ne peut techniquement et de loin pas couvrir la demande complète !

Notons que 40 TWh/a de NER représentent environ 8’000 installations solaires PV de type Riverside à Zuchwil (36’000 m2 de panneaux solaires, ou la superficie de la vieille ville de Bienne), ou alors 8’000 éoliennes de type RhônEole à l’entrée du Valais.

Puisque l’éolien rencontre l’opposition populaire, que la géothermie n’a pas encore démontré sa capacité à produire de l’électricité à l’échelle industrielle et que le potentiel de la biomasse en Suisse est limité, il en résulte un pari fortement orienté sur l’énergie solaire photovoltaïque (PV). C’est une augmentation exponentielle de la puissance solaire installée qui démarre aujourd’hui et qu’il s’agit de maintenir.

Focus sur l’industrie solaire PV : quels coûts environnementaux ?

L’espace médiatique associe volontiers l’énergie solaire PV à des notions de durabilité, de protection du climat et de l’environnement ; mais cela est-il justifié ?

Le silicium qui constitue un module PV n’existe pas naturellement sous sa forme métallique de semiconducteur. La vie d’un panneau solaire démarre donc dans une mine de quartzite, une roche presque exclusivement formée de quartz (dioxyde de silicium, SiO2). Ce minerai doit d’abord être purifié à travers différentes étapes de lessivages (bains d’acides) et calcinations (cuissons pour éliminer d’éventuels résidus organiques) afin d’obtenir des granules de quartz ultra pur (97-99%). Ces granules passent ensuite à l’étape métallurgique qui permet de séparer le silicium de l’oxygène par réduction, en piégeant ce dernier à l’aide de carbone dans des hauts fourneaux. Le procédé requiert de brûler des ressources carbonées (copeaux de bois, charbon de bois, coke de charbon et de pétrole) en même temps que de faire fondre les granules de quartz pour en extraire le silicium métallique. Différents procédés nécessitants acides, produits chimiques et quantités d’eau permettent ensuite de purifier le silicium métallique à plus de 99,999999% puis de le recristalliser en même temps que de le doper aux métaux rares, pour enfin produire les wafers, ces galettes de silicium semiconducteur à partir desquelles les modules PV pourront être produits.

Chacune de ces étapes nécessite un apport constant d’électricité, de l’ordre de dizaines de MWh par tonnes de matériaux traités. Les sites de productions sont donc implantés à proximité de centrales électriques de grandes capacités, parfois rendues captives afin de garantir un approvisionnement continu. Une seule de ces centrales suffirait à alimenter une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants. Ces dernières années ont vu une délocalisation massive des sites de productions vers la Chine. Cette dernière domine aujourd’hui le marché mondial sur toutes les étapes de la chaîne, du silicium métallique au module PV. 

L’industrie solaire PV se nourri donc de charbon et de déforestation (il faut environ 10 tonnes de bois et de coke de charbon pour produire une tonne de wafers de silicium ; il faut quelques dizaines de tonnes de wafers pour une installation de type Riverside). Les rejets annuels des sites de production se comptent en milliers de tonnes de produits chimiques et poussières nocives ainsi qu’en en millions de tonnes de CO2.Quel sens pouvons-nous alors trouver à déployer massivement ici une technologie qui paraît faire tant de dégâts ailleurs ?

La pénurie d’électricité : une menace bien réelle

Dans son « Analyse nationale des risques de catastrophes ou de situations d’urgence » mise à jour en 2020, l’Office Fédéral de la Protection de la Population pointe la pénurie d’électricité comme le plus grand risque encouru par la Suisse, avec des répercussions économiques plus importante qu’une pandémie. Discrètement relayés par les médias, des spécialistes alertent (voir par exemple l’interview de Christophe Brand, CEO d’Axpo, dans la NZZ, le 23 septembre 2020) : par manque de grands projets, un déficit électrique de 30 TWh/a d’ici à 2035 ou 40 TWh/a d’ici à 2050 devrait être prévu. Déficit qui ne sera probablement pas comblé par nos voisins qui subissent les mêmes problématiques que nous.

Dès lors, ne devrions-nous pas faire de la décroissance énergétique notre nouvelle boussole ? Qu’attendons-nous pour stopper notre gloutonnerie énergétique et le gaspillage incessant qui va avec ? Commençons déjà par ralentir et éteindre les écrans superflus pour prendre le temps, simplement, d’imaginer le monde sobre qui nous rendra heureux.

Conscients de notre devoir d’assumer nos responsabilités envers les générations futures (préambule à la Constitution) et avant qu’il ne soit trop tard…

Naomi Vouillamoz : Géologue avec un doctorat en géophysique environnementale, spécialisée par la force des choses dans les aspects de ressources minérales nécessaires à la transition énergétique.
Depuis janvier 2021, active en politique en tant que nouvelle élue du conseil de ville biennois chez les vert·e·s.

Références :

Cet article est basé sur des informations disponibles en lignes, notamment les statistiques de l’énergie de BP (année 2019) ; les statistiques globales suisses de l’énergie publiées par l’OFEN (année 2019) ; la stratégie climatique à long terme de la Suisse et les perspectives énergétiques suisses 2050+, publiées en janvier et mars 2021 par l’administration fédérale. Les données sur l’industrie photovoltaïque sont compilées à partir de rapports d’activités de sociétés actives dans la fabrication du silicium métallique et polycristallin, ainsi que d’analyses de cycle de vie des modules PV publiées dans des revues scientifiques.

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