Un diagnostic sans concession sur les méfaits des valeurs dominantes sur notre santé et comment retrouver le Nord: une proposition à partir de l’ expérience personnelle et professionnelle de l’auteure.
Constat d’une attente irréaliste
Les valeurs véhiculées par la société, productivité, perfection, santé éclatante sont loin de nos réalités quotidiennes. Loin aussi de la réalité biologique de nos corps qui ne sont pas aptes à produire un éternel printemps. Les injonctions souvent invisibles de cet idéal social sont sournoises : pas de conflit, pas d’émotion, pas de remise en question, pas de temps, rester dans la norme, et en cas de maladie, guérison rapide et complète exigée. Ces injonctions ne respectent ni nos besoins affectifs fondamentaux, ni la biologie de nos corps, ni la diversité présente dans la nature, et moins encore nos aspirations à donner un sens à nos existences. Chaque jour, je constate chez moi, avec mes proches et dans ma pratique professionnelle combien ces « valeurs sociales » rendent tout être humain normalement constitué stressé, et finalement malade, s’il n’a pas la possibilité de respecter ses valeurs personnelles.
Valeur ? valeur porteuse pour notre santé ?
Je comprends le mot valeur comme une sorte de Nord sur ma boussole intérieure. Il me sert à mesurer l’adéquation d’une direction possible avec ce que je sens juste. Si je ne respecte pas ce Nord personnel, une intranquillité s’installe : quelque chose ne joue pas et demande correction. Si ce Nord n’est pas respecté par mon environnement (famille, amis, collègues, gouvernance politique) la colère gronde : quelque chose de précieux et significatif n’est pas respecté et demande réajustement.
Pour qu’une valeur soit porteuse et synonyme de bonne santé (physique, psychique et émotionnelle), elle doit faire sens. Correspondre à une réalité intérieure, entrer en résonance avec notre être profond et lui faire du bien : détente, respiration fluide, réjouissance et fierté, idées, engagement.
La puissance que provoque le respect ou le non-respect de nos valeurs sur notre niveau de stress, et à moyen et long terme, sur notre santé, est immense.
Si nos valeurs sont reconnues, elles nous portent et nous remplissent d’énergie.
Si ces mêmes valeurs sont ignorées ou combattues, la personne est tiraillée entre Nord personnel et sociétal. L’harmonie et la paix sont perturbées, avec soi et avec les autres. La personne va être prise entre deux feux, mise sous pression de devoir choisir entre ce qui serait bien et ce qui lui ferait du bien. Elle vit dans la peur de la mise à l’écart et du rejet, que cela soit affectif, professionnel ou financier (prestations sociales ou AI). La peur rend toute personne vulnérable car elle se sent menacée dans ses besoins existentiels : liens affectifs, appartenance et revenu.
Discrépance entre Nord personnel et sociétal
La valeur de référence voulue par notre société est un éternel printemps : productif, pimpant, rentable, fruits calibrés…
La réalité que nous partageons tous n’est pas qu’un printemps. Nous connaissons des étés, des automnes, et des hivers aussi. C’est carrément banal et tout à fait sain. Nous n’avons pas un corps construit pour être constamment pimpant et productif. La nature est justement capable de nous offrir l’abondance et la beauté actuelle, parce qu’elle respecte un rythme, jour-nuit, été-hiver. Nous sommes une facette de cette nature, et chaque organisme a besoin d’alternance, de phase de productivité vers l’extérieur, et de phase de repos, réflexion et intégration vers l’intérieur. C’est cette régénération qui permet alors une nouvelle phase de floraison.
La tension permanente entre attentes sociétales et réalités intérieures (nos émotions, ressentis physiques et inspirations profondes) génère un sentiment de décalage, de mal-être, et finalement, si l’impossibilité d’être soi-même dans notre milieu de vie persiste, notre corps nous le dit par dysfonctionnement et maladie.
Les gens souffrent de devoir choisir entre ce qu’ils devraient être et ce qu’ils vivent au quotidien, entre ce qui est attendu par l’extérieur, et ce qui ferait sens pour eux.
Le non-respect de nos besoins aussi bien physiques que affectifs et spirituels nous fait violence. Le sentiment de ne pas être normal ou suffisamment bien génère stress, honte et culpabilité. L’éternel printemps voulu par la société exclut une bonne partie de nos réalités et exclut aussi de nombreuses personnes qui craquent, alors qu’elles ont tant à offrir.
L’amour de soi et la responsabilité comme valeurs antidotes ?
L’amour comme valeur, ça fait sourire ou hausser les épaules… Mais Madame vous n’êtes pas sérieuse quand même ?
Ou alors immature, idéaliste ?
Egoïste oui ! Ha ces gens qui s’écoutent trop…
Reconnaître ce qui est, (émotions questions pensées ressentis), chez nous et chez l’autre, est à mon sens un acte d’amour qui a un pouvoir guérisseur profond et durable. Nommer les émotions et leur permettre d’exister libère et apaise, oser les questions clarifie et ouvre des possibles, valider nos ressentis redonne sécurité et confiance. Accueillir platement ce que nous sommes à un moment précis guérit, et permet de passer à autre chose :
A partir de ce qui est, maintenant, qu’est-ce que je peux faire, dire ou être pour créer une situation qui me convient mieux ? Quels sont mes choix ? Où sont mes ressources ?
De quoi ai-je besoin pour que mon souffle se détende, mes mâchoires se relâchent, pour que l’espoir et la confiance reviennent ?
Chaque fois que nous nous respectons, et avons l’immense courage de le faire, face à notre entourage, nous suivons le Nord de notre propre boussole, celle qui donne un sens à nos vies, celle qui fait battre nos cœurs, pour une cause ou une autre, pour un être humain plutôt qu’un autre. Pour tout ce qui fait de nous un être absolument unique qui a besoin de se réaliser, et non d’être mesuré à son sexe, sa couleur de peau ou le montant de son compte en banque…
Retrouver son Nord, reprendre son droit à une existence propre, une existence unique, en accord avec ses valeurs, voilà ce que je souhaite de tout cœur à chacune et chacun d’entre nous.
Pour sa propre santé, celle de notre société et finalement, comme tout est lié, celle de notre unique maison, la Terre.
Texte :
Emmeline Bienvenu, physiothérapeute spécialisée dans la gestion du stress et le soin des troubles psycho-affectifs au travers du toucher et des exercices corporels. En outre elle cultive son potager en permaculture et passe du temps dans la nature.
Illustration :
Cinzia Sigg
Inspiration
Aline Lapierre, toucher neuro-affectif
Web: Constellations familiales
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