Les langues : diverses, indispensables, souvent oubliées, qui fondent les identités, qui savent mettre en exergue certaines particularités, l’auteur nous rappelle avec raison qu’elles sont à protéger, à valoriser sans hiérarchie.
Bilingue, Biel/Bienne ? Avec plus de 150 nationalités représentées sur son territoire, notre cité abrite un véritable trésor de diversité linguistique. Comme les espèces animales et végétales, les langues sont menacées – si le monde compte aujourd’hui 6000 à 7000 langues différentes, on déplore en moyenne toutes les deux semaines la disparition de l’une d’entre elles. En Europe, on peut citer l’exemple du livonien, jadis parlé en Lettonie et éteint autour de 2010. Précisons au passage qu’il n’y pas, en linguistique, de distinction claire entre les notions de « langue » et de « dialecte » – on a ainsi pu dire qu’une langue était un dialecte avec une armée et une marine – autrement dit, une manière de parler a plus de chance d’être considérée comme une langue lorsqu’elle est utilisée officiellement par une structure étatique.
Quel est l’intérêt de préserver la diversité linguistique ? Non contentes de provoquer l’émerveillement des linguistes par le foisonnement de leurs structures, les langues recèlent aussi une sagesse ancestrale inestimable (on parle de « connaissances traditionnelles », un terme également utilisé dans le contexte de la Convention sur la diversité biologique). Une étude de l’Université de Zurich publiée en 2021 sur les connaissances phytopharmacologiques a montré que les savoirs n’étaient bien souvent disponibles que dans une seule langue et qu’ils risquent donc de disparaître lorsque la langue en question est en péril. Selon la même étude, la proportion de langues menacées dépassait d’ailleurs même celle de plantes menacées.
Dans un épisode rapporté par la linguiste Tove Skutnabb-Kangas, Pekka Aikio, ancien président du parlement same en Finlande, raconte que des biologistes avaient « découvert » que les saumons remontaient très loin dans les réseaux fluviaux en Laponie pour frayer. Or, bon nombre de ces rivières ont en same un nom qui comprend dans cette langue un mot qu’on pourrait traduire par « lieu de frai du saumon ».
Pour citer un exemple personnel, c’est en apprenant le russe que je me suis rendu compte de la proximité entre oignon et poireau, puisque le premier s’appelle « лук » (prononcer « louk ») et le second « лук-порей » (« louk-paréy », soit « oignon-poireau »). Il est d’ailleurs tout à fait légitime de se demander si je n’aurais pas pu identifier cette parenté en passant davantage de temps à la cuisine… comme j’ai effectivement pu m’en rendre compte par la suite.
Le constat des connaissances traditionnelles inscrites dans les langues s’applique aussi sous nos latitudes – songez par exemple au mot « pissenlit » en français… qui nous informe sur les vertus diurétiques de cette plante.
Au-delà des connaissances sur la biodiversité, des études menées auprès de peuples autochtones du Canada ont montré une corrélation claire entre l’absence de réelle maîtrise de la langue autochtone en question et le taux de suicide, et la linguiste Tove Skutnabb-Kangas insiste sur l’importance d’instruire autant d’enfants que possible dans leur langue maternelle, ce qui les aide aussi bien à préserver leur langue qu’à en apprendre d’autres.
Les langues disparaissent lorsqu’elles ne se transmettent plus et que c’est aussi le manque perçu de prestige d’une langue qui peut pousser des parents à ne pas la transmettre à leurs enfants. Il est important de rendre plus visible la diversité linguistique également à Biel/Bienne et d’encourager les locuteur·trice·s des diverses langues à prendre conscience de la richesse qu’iels portent en elleux.
Alors, avez-vous envie de faire découvrir votre langue et votre culture ? Ou connaissez-vous des locuteur·trice·s d’autres langues vivant à Bienne ? N’hésitez pas à nous contacter !
Texte : Adrian Tanner, interprète de formation et passionné de langues, regrette de ne pas pouvoir apprendre les langues aussi vite qu’elles disparaissent.
Né à Toulouse de parents suisse-allemands, il est reconnaissant d’avoir pu également commencer ou poursuivre l’apprentissage de l’anglais, l’italien, l’espagnol et le russe au bord du lac de Bienne.
Image : « Lībiešu ciems kura vairs nav » – (un) village livonien qui n’existe plus : inscription (en letton) le long de la route entre Mazirbe et Irbene, en Lettonie
Le roman « L’allégresse de la femme solitaire », d’Irène Frain, propose une approche littéraire de la disparition d’une langue.