La question du mix énergétique de demain est sérieuse. Quels besoins ? Quelles ressources ? Quelles technologies ? Quels coûts ? Quels prix ? Quelles disponibilités (quantités, en ruban, intermittentes, centralisées, décentralisées) ? Quels effets sur l’environnement et sur la société ?
Dans le brouhaha médiatique ambiant sur les énergies renouvelables, présumées propres, capables de nous sortir de l’impasse climatique et de nous libérer de notre dépendance aux énergies fossiles, se trouve une grande oubliée : la géothermie.
De quoi parle-t-on ?
Du grecque geo, Terre, et thermos, chaleur, la géothermie signifie littéralement la chaleur de la Terre. La géothermie puise donc son énergie dans la chaleur de la Terre et présente des atouts considérables dans le contexte de la transition énergétique. C’est une énergie en ruban (disponible en tout temps), avec peu ou pas d’émissions de CO2 au stade opérationnel et dont les installations ne demandent que très peu de place en surface. De plus, la géothermie peut être utilisée pour générer de la chaleur et/ou de l’électricité, deux secteurs à fort potentiel de décarbonation.
En théorie, la géothermie est disponible en tous lieux. En effet, plus de 99% de la masse planétaire se trouve à une température de plus 1000°C ! Le gradient géothermique moyen (l’augmentation de la température en fonction de la profondeur) se situe autour de 30°C/km. Seuls 3 km sous nos pieds sont donc à une température inférieure à 100°C.
Imaginons que nous puissions refroidir de 20°C une couche rocheuse située entre 4 et 5,5 km de profondeur sous le territoire suisse, il y aurait là suffisamment d’énergie pour fournir à notre pays sa consommation actuelle d’électricité et de combustibles (pétrole, gaz et charbon) pour au moins 2’500 ans. Le potentiel est gigantesque…
Géothermie conventionnelle
La géothermie s’est d’abord développée dans des régions où le sous-sol est anormalement chaud (par exemple en zones volcaniques). La présence dans ces régions de fluides chauds proches de la surface a permis l’utilisation directe de cette chaleur. Hormis les bains thermaux, connus au moins depuis le paléolithique, l’utilisation de la chaleur géothermale sous forme de réseaux de chaleur à distance (CAD) se développe dès la fin du 19e siècle. La première centrale géothermique générant de l’électricité est réalisée à Larderello en Italie en 1904.
Puisque limitée par la géologie locale, la géothermie conventionnelle ne pèse pas lourd dans le mix énergétique mondial : seulement environ 0.5% de la chaleur et de l’électricité, principalement fournie par des installations le long de la ceinture de feu.
Géothermie « de surface » : Pompes à chaleur (PAC) géothermiques
La géothermie de surface ou de basse température s’est développée à partir des années 1940-50. Les PAC géothermiques nécessitent de faire circuler, à l’aide d’électricité et en circuit fermé, un fluide caloporteur à l’intérieur d’un puit de forage à faible profondeur (quelques centaines de mètres maximum). Ce type d’installation permet de chauffer/refroidir des bâtiments individuels dont la demande en chaleur au mètre carré n’est pas trop élevée (donc bien isolés et pas 40 étages). La Suisse comporte la plus forte densité au monde de PAC géothermiques, qui fournissent environ 4 TWh de chaleur par an (avec 1 TWh d’électricité si l’on considère un coefficient de performance standard de 4). Cette capacité pourrait encore être doublée. Les PAC géothermiques pourraient fournir un peu plus de 10% de la demande totale de chaleur envisagée à l’horizon 2050 (9 TWh/a pour une demande prévue de 70 TWh/a).
Géothermie hydrothermale de moyenne profondeur (2-5 km)
Avec le développement des technologies de forage profond dans les années 1970, suite au 1er choc pétrolier, de nouveaux horizons se sont ouverts. Dans le bassin parisien, lors de prospections pétrolières, les foreurs découvrirent, en lieu et place d’or noir, de l’eau chaude contenue dans des couches aquifères. C’est ainsi que dès les années 1980, certaines communes décidèrent d’utiliser cette ressource à leur avantage en créant des « doublets géothermiques ». Un forage de production pompe l’eau chaude et utilise sa chaleur pour la distribuer dans un réseau CAD. Un deuxième forage re-injecte l’eau refroidie à distance dans le réservoir. De tels systèmes sont en activité dans la région parisienne depuis une quarantaine d’années ainsi que depuis le début des années 2000 dans la région munichoise. Les aquifères exploités se situent entre 2 et 4.5 km de profondeur. Les températures de production sont d’environ 60-90°C avec des flux de 70-80 l/s pour un fonctionnement optimal, c’est-à-dire une baignoire remplie en 2 secondes.
La géothermie hydrothermale représente une technologie mature. Elle requiert cependant la présence de couches aquifères profondes qui doivent impérativement avoir une perméabilité suffisante afin de permettre la circulation de l’eau chaude dans la roche et donc son pompage (qui nécessite lui de l’électricité).
La situation en Suisse
Les couches aquifères exploitées à Paris et dans la région munichoise (le Dogger et le Malm principalement) sont aussi présentes dans le sous-sol suisse et biennois, à des profondeurs qui présagent des températures suffisantes pour une utilisation directe de la chaleur en réseau CAD. Des études récentes du potentiel de la géothermie hydrothermale en Suisse indiquent que ces systèmes pourraient fournir jusqu’à 8 TWh/a de CAD d’ici à 2050i. Cependant, afin de présenter une perméabilité suffisante, il faut que la roche aquifère soit fracturée (zones de failles). La Suisse n’a pas de tradition pétrolière. Seuls quelques profils de prospections sismiques furent établis dans les années 50 sans découvertes majeures. Notre pays connaît donc assez mal son sous-sol, hélas, mais cela pourrait changer. Plusieurs campagnes sismiques (camions vibrateurs qui permettent l’équivalent d’une échographie du sous-sol) sont annoncées ou démarrent actuellement dans différentes régions du Plateau suisse, comme à Genève et actuellement dans le Jura. Le but est de cartographier les zones de failles dans les niveaux aquifères du sous-sol afin de définir les régions favorables à l’installation de doublets géothermiques.
Et pour l’électricité ? Géothermie profonde non-conventionnelle
Il faut en général descendre à plus de 4-5 km de profondeur pour trouver les températures supérieures à 120°C, nécessaires à générer de l’électricité. À ces profondeurs, nous sommes en principe en dessous des couches sédimentaires potentiellement aquifères, dans ce que les géologues appellent le socle, c’est-à-dire des roches granitiques non perméables. Afin de pouvoir puiser la chaleur (virtuellement infinie) contenue dans ces roches, différentes approches sont envisagées. Ces dernières implémentent des technologies initialement développées par l’industrie pétrolière et gazière. La géothermie profonde en est à ses balbutiements, sa faisabilité reste à être démontrée.
- Enhanced Geothermal Systems – EGS
L’approche EGS consiste à créer de la perméabilité dans la roche profonde (+ 5 km) par fracturation hydraulique. De l’eau est injectée sous très haute pression pour fracturer la roche en profondeur autour de la tête de forage. Un deuxième forage permet ensuite de pomper l’eau qui aura circulé à travers le réseau de fractures créé et puisé la chaleur ambiante par advection (récupération plus rapide de la chaleur dû au mouvement). Le risque principal associé aux EGS est la sismicité induite. Le projet de Bâle, célèbre pour le tremblement de terre induit en décembre 2006, était l’un des premiers projets pilote EGS au monde. Il existe actuellement seulement une installation EGS en fonctionnement, à Strasbourg, dans le Graben du Rhin. Celle-ci produit 1.5 MW électrique depuis une vingtaine d’années pour un volume de roche fracturé d’environ 3 km3. Mais plusieurs dizaines de projets pilotes existent ou sont prévus à travers le monde. La manière dont la roche est fracturée a évolué. La stimulation se fait aujourd’hui par étapes et est surveillée en permanence par un réseau sismographique capable de cartographier en temps réel l’évolution spatiale de la zone fracturée. Cela n’empêche certes pas le risque sismique, mais permet de le réduire considérablement.
- Advanced Geothermal Systems (AGS)
L’approche AGS consiste à construire en profondeur un « radiateur inversé ». Des forages sont déviés en profondeur à l’horizontale afin de construire des conduits dans lesquels de l’eau ou un fluide caloporteur circule et récupère la chaleur des roches environnantes. Les AGS sont aujourd’hui envisageables grâce aux développements récents des technologies de forage. L’approche AGS permet de s’affranchir du risque de tremblement de terre induit. En revanche, l’échange de chaleur ne se faisant plus que par conduction, un processus plus lent que l’advection, les AGS nécessitent de déployer plusieurs dizaines de kilomètres de forages déviés en profondeur pour permettre une production d’électricité et de chaleur équivalente à un EGS classique.
Alors on fait quoi ?
Le potentiel cumulé des PAC géothermiques et des installations hydrothermales de moyenne profondeur pourrait permettre de couvrir environ 25% des besoins de chaleur en 2050 i. Au-delà de ces technologies matures, mais limitées dans l’espace, les systèmes EGS/AGS déployables en tous lieux pourraient couvrir 5-10% de la demande en électricité et valoriser de surcroît la chaleur restante en CAD.
Les freins au développement de la géothermie de moyenne et grande profondeur sont d’abord au niveau économique. Les risques liés aux travaux de forage et les investissements requis sont comparables aux projets pétroliers et gaziers, mais aujourd’hui sans le retour sur investissement. La géothermie non conventionnelle nécessite donc une nouvelle économie de l’énergie afin que les projets puissent être financés.
Au-delà des aspects financiers, les contestations populaires jouent aussi un rôle. Les plateformes de forages c’est mieux chez les autres et le « fracking » fait peur. J’aimerais donc terminer cet article par quelques notes réflexives.
Notre consommation de pétrole et de gaz continue d’augmenter et ne peut être maintenue que par l’exploitation de ressources fossiles non-conventionnelles. Celles-ci sont extraites à l’aide de forages profonds déviés dans les entrailles de la Terre et de technologies de fracking, dans des régions où les conditions cadres pour la protection de l’environnement (et de l’humain) sont souvent inexistantes. Il existe aujourd’hui des dizaines de millions de puits de forages pétroliers et gaziers dans le monde !
Développer la géothermie de moyenne et grande profondeur signifie certes de relocaliser des externalités (forages) que nous n’aimons pas voir, mais que nous entretenons ailleurs dans le monde par nos modes de vie. La géothermie nous donne une réelle chance de gagner en souveraineté énergétique, elle permet de développer de nouvelles filières ainsi qu’une nouvelle relation à l’énergie, à son coût financier et à plus de sobriété dans son utilisation.
Je pense personnellement qu’il est temps d’arrêter de parler d’énergies prétendument propres. Celles-ci n’existent pas. Nous nous trouvons face à différentes options, qui présentent toutes des pour et des contres, des risques ainsi qu’un coût environnemental et social. Les décisions que nous prenons aujourd’hui auront un impact pour les générations futures. Elles méritent que l’on prenne le temps d’y réfléchir sérieusement.
Texte:
Naomi Vouillamoz
Géologue avec un doctorat en géophysique environnementale.
Membre du conseil de ville biennois chez le ville biennois chez lees vert-e-s.
Références:
Geotermie Suisse www.geothermie-schweiz.ch