Dans ce numéro, nous parlons de paix. Mais quelle signification le terme de « paix » prend-il pour des personnes aux expériences de vie ou d’activités différentes ? Et quels échanges peuvent naître de la rencontre entre ces différents contextes ? Dialogue entre Dilbrin ayant vécu la guerre, la répression, l’emprisonnement pour ses activités et ses convictions et moi, suissesse avec les mêmes activités et convictions, mais qui ne court pas le risque d’être emprisonnée.
Je rencontre Dilbrin Turgut, une jeune femme kurde, demandeuse d’asile. Elle est depuis un an au Centre de requérants d’asile de Reconvillier, n’a pas droit à un cours de français digne de ce nom, n’a pas le droit de travailler et doit être à 16 heure de retour au Centre, sous peine de sanctions. Mais c’est une prison… ! Ce qu’elle confirme « … j’ai l’impression d’être de retour en prison, ce qui est mauvais pour mon équilibre psychique… ». Déjà ici en Suisse iI y a un monde entre sa réalité et la mienne. Pouvons-nous nous écouter et nous entendre ?
Avant de parler de paix, voyons d’abord qui elle est, qui je suis et avons-nous des expériences ressemblantes ?
Dilbirin a fait 5 ans de prison pour avoir protégé des activistes kurdes. Auparavant, elle a vécu diverses expériences au Kurdistan turc. D’abord et très jeune, elle a été élue représentante de son quartier. Quelles étaient ses compétences ? « Les responsables de quartier collaborent avec la Mairie, surtout pour des questions de routes et d’infrastructures. Mais j’ai depuis très jeune été sensibilisée aux questions des violences faites aux femmes, surtout les violences conjugales. Donc j’ai davantage cherché à créer des liens de confiance avec les femmes du quartier, à les informer sur les moyens à disposition pour les aider. Bien qu’il n’y ait pas la même aide qu’ici. ». Était-ce difficile pour elle, femme, d’être élue ? « Mon père a été le représentant du quartier, je me suis présentée lorsqu’il est décédé et j’ai été élue. La communauté m’a soutenue ». Voilà deux aspects qui peuvent nous rapprocher : j’ai été conseillère de ville et j’ai travaillé avec des femmes victimes de violence conjugale ! Et la paix dans tout cela ? D’abord une chose est sûre : éradiquer les violences faites aux femmes, c’est œuvrer pour la paix, c’est protéger des milliers de vies, c’est combattre les discriminations, les inégalités, les souffrances des mères et des enfants. Toutes choses fauteuses de guerre !
Dilbirin est engagée dans une organisation de femmes kurdes, TJA, (Tevgera Jinên Aza) affiliée au HDP-DA (parti démocratique des peuples), parti politique turc de gauche. Elle était parallèlement journaliste pour une agence de presse féministe kurde, JINHA. Et sur la paix, au Kurdistan ou ailleurs, que disent les femmes ? « C’est l’ensemble des mouvements de femmes qui prennent position pour la paix, au niveau international ou pour leur région. Dans mon organisation il n’y a pas que des femmes kurdes, il y a aussi des turques et des femmes d’origine arabe. Il y a une étroite collaboration avec d’autres forces turques, sur les questions des droits des femmes et des LGBT ». La recherche de la paix prend aussi des chemins de traverse, n’est pas seulement l’absence de guerre, c’est encore bien d’autres droits. Elle précise : « Peu importe si Israël ou le Hamas, lorsqu’une force attaque et tue des enfants nous prenons une position ferme, ils ont tous deux violé les règles du droit humanitaire ainsi que les règles morales de la guerre. Donc nous soutenons les victimes, toutes les victimes. C’est un pas vers la paix. ». Ensuite, avec beaucoup d’émotion Dilbirin raconte qu’en tant que journaliste elle devait traduire des dépêches et regarder les photos prises lors des évènements relatés. Elle raconte le corps d’une mère exposé pendant 8 jours dans la rue et l’interdiction faite à ses enfants d’aller le chercher, ou cette mère qui a dû cacher le corps de sa fille dans un congélateur. Elle a été témoin de tout cela et ne peut l’oublier. Ainsi, face à de telles barbaries, comment ne pas laisser la haine submerger les consciences? Dilbirin exprime de la tristesse, de l’émotion, mais aucun sentiment de revanche, de haine ou de rejet de l’autre. Où sont ses ressources? Elle dit « En fait, le plus difficile et pour tout le monde, est de ne rien pouvoir faire pour aider ou empêcher ces horreurs. Mais l’idéologie de la population kurde ne permet ni la haine, ni les divisions, elle protège de ces sentiments. ». Alors là j’ai besoin de plus d’explications, quelle idéologie, quelles valeurs, comment et pourquoi ? Elle dit : « … Mes valeurs sont mon identité kurde, ma terre, ma langue et aussi l’humanisme. Öcalan m’a appris comment rester debout, les manières de rester debout et cela me permet de me positionner contre la violence. » Öcalan ? Le vieux dirigeant du PKK emprisonné depuis 1999 ? Alors je recherche quels sont les principes qu’il défend : le confédéralisme démocratique ! Un socialisme organisé à la base, par démocratie directe : municipalisme libertaire, économie collective, paritaire et multiethnique, système autogéré. Une vraie citoyenneté !
Dilbirin: : « Quand j’étais en prison, nous avons fait la grève de la faim pour la reprise des pourparlers de paix entre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et le gouvernement turc. 12 de mes camarades en sont morts et j’y ai presque laissé ma vie. Avoir perdu 12 camarades reste très douloureux. Actuellement, une nouvelle grève de la faim des prisonniers politiques dure déjà depuis 50 jours… ».
Que dire ? La recherche conséquente de la paix exige des actes conséquents. Malgré la langue, la culture, les expériences, les souffrances, toutes très différentes, nous avons les mêmes aspirations, les mêmes rêves aussi et beaucoup de nos combats féministes se ressemblent. Pour elle, il faut conquérir la paix, pour moi, je dois la défendre en m’engageant contre la militarisation des consciences, ici en Suisse. Entre nous, un cousinage en quelque sorte.
Texte:
Claire Magnin, rédaction