Aujourd’hui, la maison où j’ai passé 2372 de mes jours et de mes nuits se fait défoncer. Construite il y a plus d’un siècle pour le logement des cheminots, occupée en 2006, squattée pendant 15 ans, évacuée l’année dernière.
Au fond des bennes, au bout du boulet, les centaines de concerts, les performances, les jusqu’à l’aube de la cave, la scène qui servait de crash test à l’underground biennois où tant de projets ont vu le jour. Au fond des bennes mes toutes premières lectures, la naissance du collectif Veau Biche Ours, les ateliers et les chambres rénovées à la sueur de notre soif d’autonomie, d’autodétermination et d’invention d’une vie autrement. Au fond des bennes l’accueil du bon millier de personnes de passage, le refuge des situations « irrégulières », le toit à mettre sur la tête des artistes, des voyageurs, des réfugié.e.s, des musiciens de rue impossibles et désespérants qui squattaient les squatteurs et pissaient leur vin blanc de cuisine à côté de la cuvette en demandant systématiquement à parler au « chef ». Au fond des bennes, le sleeping informel mais vers lequel les services de la ville ne manquaient pas de rediriger les quêteurs de nuit quand la place venait à manquer. Au bout du boulet le salon, le babyfoot, le freeshop, la salle du bistrot, les bouffes pop servies chaque semaine pendant presque 15 ans, le prix libre auquel on tenait tant, si cher à notre coeur, les rencontres fortuites, les amitiés naissantes, devenues plus fortes que des racines de chêne, les fondements. Dans la poussière les fondamentaux, et au fond des bennes les discussions, le collectif, la préparation de manifestations, les banderoles dont la très réussie « Autobahn No Pasaran » qui avait tant fait peur au conseiller d’état bernois en charge du projet d’autoroute à Bienne – finalement chassé comme un oiseau de malheur, le projet d’autoroute, repoussé par la détermination et le sang-froid d’une population qui s’était soudée face à une pure et simple folie. Aux décharges encore, les bonnes et les sales histoires, toutes celles qui pourraient faire advenir de cet embryon d’hommage une odyssée, une anthologie, des romans de gare, un manuel d’utilisation. Dans un dernier éclat de briques, l’ultime soirée que nous avons passée dans un intérieur aux portes et aux fenêtres déjà murées, recueillis autour de bougies à réchaud, à raconter ce qui ne sera bientôt plus que des souvenirs, mais encore à désosser la maison et récupérer tout ce qu’il y a de bon à prendre, faire descendre les poêles à catelles sur les marches centenaires et cracher dans la poussière. Bon vent saloperie de maison, baraque du cœur noirci à la flamme et qui contient encore en elle tous les fluides de mon corps. Bon vent et à jamais. On se reverra en rêve.
Heute wird das Haus, in dem ich 2372 meiner Tage und Nächte verbracht habe, high. Vor mehr als einem Jahrhundert für die Bahnunterkunft gebaut, 2006 besetzt, 15 Jahre besetzt, letztes Jahr evakuiert.
Tief in den Müllcontainern, am Ende der Kugel hunderte von Konzerten, Auftritte, die bis zur Dämmerung des Kelleres, die Szene, die als Crashtest im bieler Untergrund diente, wo so viele Projekte entstanden sind. Tief in den Müllcontainern meine allerersten Lesungen, die Geburt des Kalbsbär-Kollektivs, die Werkstätten und Zimmer, die im Schweiß unseres Dursts nach Selbstbestimmung, Selbstbestimmung und der Erfindung eines anderen Lebens renoviert wurden. Tief in den Müllcontainern die Aufnahme der gut tausenden Menschen auf der Durchreise, die Zuflucht vor „unregelmäßigen“ Situationen, das Dach, das den Künstlern, Reisenden und Flüchtlingen über den Kopf gelegt wird. e. s, unmögliche, verzweifelte Straßenmusiker, die die Hausbesetzer besetzten und ihren Küchenweißwein neben die Toilette pinkelten und systematisch darum baten, mit dem « Koch » zu sprechen. Tief in den Müllcontainern das informelle Schlafen, zu dem die Stadtdienste die Questers nachts umleiten konnten, wenn der Platz ausging. Am Ende der Kugel das Wohnzimmer, der Tischfußball, der Freeshop, das Bistrozimmer, die Pop-Puffs, die fast 15 Jahre wöchentlich serviert wurden, der Freipreis, den wir so sehr lieb hatten, die zufälligen Begegnungen, die aufkommenden Freundschaften, die kamen stärker als Eichenwurzeln, die Grundlagen. Im Staub die Grundlagen, und tief im Müll die Diskussionen, das Kollektiv, die Vorbereitung von Demonstrationen, die Banner einschließlich der sehr erfolgreichen „Autobahn No Pasaran“, die den Berner Staatsrat für die Autobahnprojekt in Biel – endlich gejagt wie ein Unglücksvogel, das Autobahnprojekt, abgedrängt von der Entschlossenheit und der Kaltblütigkeit einer Bevölkerung, die sich vor dem reinen Wahnsinn zusammengeschweißt hatte. Auf den Müllkippen, gute und schmutzige Geschichten, all jene, die aus diesem Tribut-Embryo eine Odyssee, Anthologie, Bahnhofsromane, Benutzerhandbuch machen könnten. In einem letzten Ziegelglanz, der letzte Abend, den wir in einem Innenraum mit bereits zugemauerten Türen und Fenstern verbracht haben, um Teelichtkerzen gesammelt zu haben, erzählen, was bald nur noch Erinnerungen sein wird, aber immer noch entbeinen müssen das Haus und alles zurückholen, was es hat da gibt es gutes zu nehmen, katellenöfen auf die jahrhundertealten Stufen runter und spucken in den Staub. Glücklicher Wind, verdammtes Haus, Hütte mit geschwärztem Herz in Flamme und immer noch alle Flüssigkeiten meines Körpers enthalten. Gute Reise und ewig. Wir sehen uns im Traum.
Texte:
Antoine Rubin est né en 1990 à St-Imier. Il vit à Bienne. Il est actif dans de nombreux domaines artistiques (écritures, performers, expositions), il aime créer collectivement et est formé en anthropologie. Il a été un membre du collectif de LaBiu de 2012 à 2018.
Photo:
José Gsell
Siehe auch: