Le Monde Sans Fin est une bande dessinée où il est question de Clint Eastwood, de Maître Yoda, de Jimini Cricket, d’un parachutiste qui tricote en mangeant du chocolat, de striatum, de marins ayant le mal de mer, de dinosaures qui dissertent sur les SUV, d’enfants qui se battent en vacances, d’un apôtre radioactif, de Mère Nature, d’oeufs de pâques, et très accessoirement d’énergie, de climat, et de pourquoi le monde est fait comme il est fait.
Avez-vous déjà vu cette vidéo du cycliste professionnel qui pédale sur un vélo d’appartement pour griller un toast ? L’expérience consistait à montrer l’énergie phénoménale qu’il faut pour actionner un bête grille-pain. Pour cela, on a pris Robert Förstemann, coureur cycliste allemand, champion du monde de vitesse sur piste et médaillé olympique. Avec ses cuisses de 74 cm de circonférence et ses 95 kg de muscles, il lui faut s’échiner sur un vélo jusqu’à épuisement pour arriver tout juste à roussir une biscotte. J’avais déjà parlé de l’énergie nécessaire à chauffer l’eau d’une douche (voir mon article « La banquise fond, so watt ? »), mais produire 700 W durant plusieurs dizaines de secondes, croyez-moi, c’est inhumain !
Sur le principe, c’est assez rigolo, parce que pour l’instant, nous n’avons pas besoin d’épuiser chaque matin un athlète germanique dans notre cuisine pour pouvoir déjeuner. En effet, le charbon, le pétrole et le gaz sont bien plus efficaces que les cuisses de Robert (sans rancune, vieux !). Bémol : comme notre planète se réchauffe dangereusement à cause de notre consommation de ces énergies fossiles, il faut impérativement penser à s’en défaire. Mais, dites-moi, vous n’envisagez pas sérieusement l’esclavage comme une alternative, ou bien… ?
Pour mieux saisir les enjeux, j’ai lu « Le Monde Sans Fin », une bande-dessinée de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. Jean-Marc Jancovici est l’inventeur du bilan carbone, enseignant à l’école des Mines (Paris) et conférencier. Et Christophe Blain est auteur de bande-dessinée et illustrateur, ce qui aide un tout petit peu à avaler la méchante pilule qui nous attend…
Ce que nous dit Monsieur Jancovici, c’est que Robert a converti de l’énergie (les calories de son Schnitzel de midi) en mouvement pour produire l’électricité qui fait fonctionner le grille-pain. Notre cycliste est donc un simple convertisseur d’énergie. Une machine, quoi. La bonne nouvelle, c’est que c’est un convertisseur d’énergie renouvelable (le Schnitzel). La mauvaise, c’est qu’il n’est pas très efficace ni très puissant (Non, Robert, attends, reviens !).
Il y a deux siècles, les ingénieur·es ont donc conçu des machines pour remplacer esclaves, animaux de trait et moulins à vent et transformer d’autres sources d’énergies ultra denses (le charbon, puis le pétrole et le gaz) et permettre une formidable expansion économique et démographique. À titre d’exemple, 1 litre d’essence qu’on brûle fournit autant d’énergie que 10 à 100 jours de travail humain. Et c’est beaucoup, beaucoup moins cher.
Les énergies fossiles sont donc des concentrés d’énergie très accessibles et, depuis leur découverte, notre vie entière dépend des machines qu’elles alimentent. Le simple fait de se brosser les dents le matin fait appel à une quantité hallucinante de ressources et de machines surpuissantes : une industrie chimique qui converti des wagons de maïs en sorbitol pour le bon goût du dentifrice, des plateformes pétrolières, raffineries, vapocraqueurs, extrudeuses, etc. pour fabriquer le tube en plastique, et du cuivre, de l’argent, du verre pour le miroir qui nous assure que nos quenottes brillent à la fin du processus. Sans machines, il faudrait à chaque Suisse un bon millier d’esclaves pour fournir le même travail, soit 1400 milliards d’esclaves pour faire tourner l’économie mondiale. (Dis, Robert, t’as des amis dans le cyclisme ? Parce que, euh…)
Évidemment, vous connaissez les effets catastrophiques des émissions de CO2 liées à la combustion des énergies fossiles. Mais alors, Martin, il y a bien une solution, non ? On n’a qu’à utiliser des énergies renouvelables ! Oui, mais… Primo, depuis l’apparition des énergies dites « renouvelables » (hydroélectrique, éolien, solaire et la géothermie), celles-ci n’ont fait que s’ajouter aux énergies fossiles pour nous permettre de consommer encore plus, mais elles ne les ont aucunement remplacées. Depuis la première Conférence des Parties (la COP 1), en 1995, la consommation des énergies fossiles n’a cessé d’augmenter ! Il faudra donc des décrets internationaux pour s’assurer que les énergies « renouvelables » limitent effectivement l’utilisation des énergies fossiles et que celles-ci soient rapidement abandonnées. Secundo, à grande échelle, aucune énergie n’est « propre ». S’il fallait remplacer les centrales à fioul, à charbon et à gaz par du photovoltaïque et des éoliennes, il faudrait couvrir des surfaces gigantesques avec des panneaux solaire et planter des aéromoteurs un peu partout. Autrement dit, sacrifier surfaces arables, forêts, prairies, etc. Tertio, ces dispositifs sont eux-même consommateurs d’énergies fossiles pour la construction, le transport, l’extraction des terres rares pour leur conception. Et quarto, les panneaux solaires et les éoliennes sont tributaires du soleil et du vent, respectivement. Donc sans vent ni soleil (une calme soirée d’été, quoi), pas de lumière, pas de téléphone, pas de cuisine… Pire : pas de Netflix ! Sauf si vous avez des batteries. Mais pour huit milliards d’être humains, vous n’y pensez même pas…
Et le nucléaire, dans tout cela ? Eh bien c’est une source d’énergie extrêmement dense, beaucoup plus impressionnante qu’elle n’est dangereuse et qui génère très peu de déchets, en comparaison. En gros, un parachute de secours très efficace qui pourrait accompagner la descente énergétique. Mais je vous vois déjà froncer les sourcils, alors je ne vais pas jeter de l’huile sur le feu ; vous vous ferez votre propre avis à la lecture du « Monde Sans Fin »…
Martin Gunn est ingénieur en microtechnique ; aujourd’hui, il consacre son énergie au Réseau Transition Suisse Romande, il en dépense une partie comme coursier à vélo, et il brûle le reste lors de compétitions d’aviron.
Illustration: Extrait de la bd « Monde sans fin »
Dargaud, 2021, 245 x 297 mm,
ISBN / EAM:
9782205088169