En 2030, Archiduchesse ou pas, l’or est brun. Les toilettes sèches ont remplacé le tout-à-l’égout et la matière récoltée est compostée, puis revalorisée localement en engrais. Revenons huit ans en arrière pour comprendre pourquoi s’est effectuée cette Transition…
En Suisse, jusqu’en 2022, faire ses besoins dans l’eau potable était considéré comme normal. Quand bien même 844 millions d’êtres humains n’avaient toujours pas accès à l’eau potable selon l’ONU, nous utilisions en moyenne 44 litres d’eau par jour et par personne pour évacuer nos déjections. Mais alors pourquoi ne pas récupérer l’eau de pluie pour nos toilettes, me direz-vous ? Parce que le problème concernait bien plus que l’eau, même dans un pays où elle était abondante, comme la Suisse, par exemple.
Faire disparaître ses selles d’un coup de chasse d’eau (potable !) et envoyer le tout à la station d’épuration (STEP) était bien pratique, mais ça n’était pas sans conséquence : il fallait payer des millions de francs et utiliser quantités de produits chimiques pour tenter d’assainir ces eaux polluées par nos déjections, des résidus de médicaments, contraceptifs, antibiotiques et agents pathogènes. Certes, les STEP retenaient le plus gros de la matière organique (sous forme de boues d’épuration, qui étaient déshydratées, puis brûlées), mais rejetaient dans nos rivières à peu près tout ce qui est soluble : l’azote (un précieux engrais contenu dans nos urines), le phosphore (tout aussi essentiel et contenu dans nos excréments), des micropolluants, bactéries et autres virus. Parallèlement, les terres agricoles s’appauvrissaient, puisque la nourriture que nous y faisons pousser y prélève azote, phosphore et quantité d’autres nutriments. Nous l’enrichissions donc à grand renfort de phosphore issu de mines étrangères aux réserves limitées, et d’engrais azotés nécessitant l’extraction de combustibles fossiles. En bref, nous gaspillions une précieuse matière organique d’un côté, polluions nos rivières, et importions des engrais chimiques de l’autre. Heureusement, nous nous sommes rendus compte de cette absurdité du tout-à-l’égout en circuit ouvert et nous avons décidé d’agir.
Aujourd’hui, en 2030, toutes les habitations disposent de toilettes à compost et, au lieu de tirer la chasse, nous utilisons une poignée de copeaux, de sciure, des feuilles mortes… La précieuse matière organique issue de notre digestion est compostée durant deux à trois ans et le riche humus obtenu est réutilisé localement par les exploitations agricoles. Quant aux résidus de médicaments (antibiotiques, hormones, etc.), ils sont détruits par les microbes actifs dans le compost, ce qui n’est pas le cas dans une STEP. Je vous entends déjà me dire, depuis votre 2022 : « Oui, mais ça n’est pas très glamour. Et puis ça sent mauvais ! » Mais pas du tout ! Faire dans l’eau potable, ça c’est moche ! « C’est comme verser son pot de chambre dans sa carafe », disait Mirabeau. Alors que dans la sciure… C’est comme se soulager dans un sous-bois, à l’abri de la forêt, durant vos vacances camping-sac-à-dos dans l’Entlebuch. C’est rendre à la Terre ce qu’elle nous a offert. C’est boucler la boucle du grand Cercle de la Vie ! Ce que nous considérions comme des « déchets » sont devenus des offrandes à la Terre, de précieuses ressources réutilisées à l’infini pour fertiliser les sols et y faire pousser des arbres, des fleurs et notre nourriture.
Texte:
Martin Gunn est ingénieur en microtechnique, coursier à vélo et employé du Réseau Transition Suisse Romande. Lorsqu’il a débuté ses études à l’EPFL, il était persuadé que les nouvelles technologies sauveraient la Planète. Puis il a compris qu’il y avait d’autres voies d’évolution possibles pour l’Humanité, et que c’est à nous de choisir la bonne…
photo:
Aurelia Friederich