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Pas de féminisme sans les putes !

Rendre visibles des femmes trop souvent stigmatisées, marginalisées et silencieuses. Celles qui n’ont pas de bulles protectrices ou qui en sont exclues. Nous avons rencontré Melanie Munoz, assistante sociale et directrice de Lysistrada, Fachstelle für Sexarbeit à Olten. Son message principal : le travail du sexe est une question économique et pas morale !

Quelle aide concrète Lysistrada apporte-t-elle aux travailleuses du sexe ? 

Nous visitons les endroits où elles se trouvent, dans les bars, les cabarets, les salons qui nous sont connus. En ce qui concerne la prostitution de rue, je leur rends visite une fois par semaine à Olten et ma collègue dans le reste du canton de Soleure. Nous n’allons jamais seules mais accompagnées de « médiatrices » c’est-à-dire des femmes qui parlent leur langue. En outre durant le Covid, la chaîne du bonheur a financé un 50 % de poste supplémentaire pour 1 an et nous avons pu le maintenir avec un projet de prévention des violences commises sur les travailleuses du sexe, et financé cette fois par la Police fédérale. 

Quelles sont les difficultés principales rencontrées par les travailleuses du sexe en Suisse ?

Nous rencontrons surtout des femmes migrantes, qui ont une autorisation de travailler de 90 jours, document qui n’est pas un permis de séjour. Ainsi elles n’ont pas de caisse maladie et beaucoup de difficultés à accéder à des soins. Nous les aidons à avoir accès à ceux-ci. Il y a d’autre part les questions autour des normes légales concernant l’exercice de la prostitution, le droit du travail et la législation sur la migration. Nous les informons sur leurs (peu) de droits et sur leurs (multiples) obligations.  

Quels obstacles rencontrent-elles au quotidien ?

C’est une question difficile !  Beaucoup de personnes imaginent le travail du sexe comme étant la misère, la précarité, comme une activité exercée par des migrantes obligées de se prostituer.  Évidemment, les situations de précarité et de pauvreté existent.  Mais je trouve important de rappeler que le travail du sexe est aussi un choix, entre peu de possibilités certes, mais un choix. L’incapacité d’une partie importante de la société de comprendre, d’accepter que ce soit une décision, qu’il s’agit d’une activité légale et que ces femmes ont le droit que leur choix soit respecté rend leur situation difficile. Lors de nos contacts, elles se montrent pragmatiques en ce qui concerne les services sexuels. Le travail en tant que tel ne leur pose pas problème, mais plutôt ce qui l’entoure : la stigmatisation, les lois migratoires, la socialisation dans leur pays, les enfants qui y sont restés, les relations avec leur famille, à qui elles cachent souvent leur véritable activité. C’est surtout autour de ces problématiques que nous créons des liens. Nous échangeons sur leurs ressentis, sur le responsable du salon, des contacts avec les autres femmes, les enfants restés à la maison, le manque d’argent, la pauvreté.  C’est pourquoi nous affirmons que c’est la pauvreté qu’il faut combattre et non pas les personnes qui se prostituent. 

Quelle est la situation financière des travailleuses du sexe ? 

Certaines personnes font de l’argent dans la prostitution, c’est clair. En revanche, en ce moment la possibilité de faire de l’argent par ce biais est devenue plus difficile. On observe un surplus d’offres par rapport à la demande, ainsi les tarifs baissent. Durant la crise du Corona beaucoup de salons ont fait faillite, et il est devenu plus compliqué d’en ouvrir, car les exigences légales ont augmenté. Le fait qu’il y ait moins de possibilités légales pousse les femmes à travailler illégalement dans des appartements et des hôtels, ce qui les rend vulnérables à une surexploitation et à l’insécurité de la part des bailleurs, mais aussi des clients.   

En Suisse, existe-te-t-il une organisation ou un collectif de travailleuses et travailleurs du sexe ? 

Depuis le Corona, le secteur est devenu encore plus mobile. Les travailleuses changent sans cesse de de lieu, en quête de meilleures conditions. Il faut comprendre que leur centre de vie ne se trouve pas en Suisse mais dans leur pays d’origine. Les travailleuses du sexe suisses peuvent peut-être penser à s’organiser, mais pas les migrantes sans permis de séjour. Il y a 2-3 ans un Sexworkcollectif s’est formé en Suisse pour les travailleurs et travailleuses du sexe, pour donner suite aux besoins d’échanges et de mise en réseau. 

Et quelles sont vos relations avec les autres associations de soutien aux travailleur.euses du sexe ? 

Nous avons aussi une association nationale PROCORE regroupant les associations et collectifs de soutien aux travailleur.euses du sexe et qui œuvre principalement au niveau politique. Par exemple dans le canton de Soleure, nous avons pris position lors de l’élaboration de la loi cantonale sur la prostitution. Nous avons dû lutter pour que notre participation soit acceptée. Cette loi est incluse dans la législation sur le commerce et l’industrie et non pas une loi spécifique sur la prostitution, ce qui est une reconnaissance implicite que le travail du sexe est un travail. En général,  les associations se méfient des lois, car elles ne protègent pas les femmes mais permettent de contrôler la migration. 

Avez-vous des liens avec le mouvement féministe ?

Plusieurs positions existent parmi les féministes. C’est difficile. Certaines considèrent la prostitution comme un avilissement des femmes, donc une activité à interdire, d’autres encore pensent qu’une femme trans n’est pas une vraie femme, d’autres encore qu’il faut les protéger et les sauver. Personnellement je pense que ce sont les personnes directement concernées qui devraient décider de leurs conditions de travail. Ce n’est pas le féminisme qui doit s’occuper des travailleuses du sexe, mais elles doivent pouvoir intégrer les mouvements féministes en tant que telles.  J’espère qu’à l’avenir davantage de femmes disposeront de suffisamment de ressources pour lutter elles-mêmes pour leurs droits. Il faut bien réaliser que plus ce secteur d’activité et ces travailleuses sont précarisés moins les femmes peuvent prendre la parole. Plus on marginalise et exclut, plus on augmente les risques pour ces femmes. 

Interview :
Claire Magnin, membre du comité de la rédaction.
Photo :
PROKORE,
www.aninski.com

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