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Pour un monde sans dépendance à l’uranium

Une matière première, l’uranium, qui revient sur le devant de la scène, les tenant de l’énergie nucléaire donnant de la voix. Sans être un spécialiste, l’auteur de cet article a pris le temps de faire des recherches fouillées sur la place de la Russie dans le commerce de l’uranium, son importance et les dépendances que cela implique 



La guerre en Ukraine a révélé la dépendance de nombreux pays aux matières premières produites par la Russie (pétrole, gaz, céréales, engrais). Le commerce de l’uranium, lui, est resté dans l’ombre.

 

Le poids dans l’industrie atomique civile de Moscou se mesure au nombre de réacteurs de conception russe actifs dans le monde. Sur un total de 440 réacteurs, 80 sont de type VVR (nucléaire à eau légère). Beaucoup de ces constructions datent de l’époque soviétique. Ce sont surtout les pays de l’est de l’Union européenne (UE) qui comptent sur l’uranium russe pour alimenter leurs centrales nucléaires.

En Hongrie, 4 unités produisent la moitié de l’électricité ; en République tchèque, 6 unités couvrent 37 % de la production ; en Bulgarie, 2 réacteurs produisent le tiers de l’électricité. Cela explique aussi certaines réticences à appliquer des sanctions. Au total, les pays de l’UE utilisent 18 réacteurs d’origine russe sur une centaine d’unités actives.  ( Le Monde 29.11.2022)

 

Un nouveau géant mondial

Le groupe Rosatom est un géant mondial. Créé en 2007 par la réunion de toutes les sociétés privées et publiques travaillant dans le domaine du nucléaire civil, employant plus de 275’000 personnes et ayant des accords avec plus de 50 pays. La centralisation de ses activités par le gouvernement lui donne une force commerciale rivalisant avec les autres grands groupes mondiaux. Moscou peut ainsi dominer le marché international et fournir la totalité des services de ce secteur énergétique : la construction des centrales, l’expertise et le combustible.

Cette domination apparaît dans la fourniture de l’uranium naturel. Selon l’agence Euratom, la Russie fournit 20 % du minerai nécessaire à l’UE, 45% à la France. Le Kazakhstan est en deuxième position. Rosatom est aussi très présent dans deux autres opérations indispensables à l’utilisation de l’uranium comme combustible nucléaire : la « conversion » puis l’enrichissement de l’U235. La part de Rosatom dans ces deux étapes est de respectivement 25 % et 31 % pour le marché européen et 40 % et 46 % au niveau mondial. (le Monde 29.11.2022)

 

Il n’y a pas que l’UE qui soit ainsi dépendante. En ce qui concerne la Suisse, le fournisseur de combustible russe TVEL, filiale de ROSATOM, fournit des filiales d’AREVA en Allemagne, qui exportent ensuite vers la Suisse, selon les rapports annuels de TVEL de 2010, 2012, 2014.

Rosatom fournit aussi le plus grand parc mondial soit celui des États-Unis, (93 unités) à hauteur de 25 %.

 

Cette dépendance n’est pas seulement celle d’un matériau mais aussi d’une technologie. Les nouvelles installations nucléaires dites de « 4e génération » nécessitent un uranium plus enrichi (20%) que seule la Russie peut fournir.

Au mois d’avril 2022, le Parlement européen avait appelé à un embargo complet sur les importations d’uranium. Depuis, malgré un train de huit volets de sanctions décrétées, l’atome ne semble pas concerné par ces restrictions.

 

L’indépendance coûte trop cher

Derrière cette dépendance, il y a des choix économiques de l’UE, comme pour le gaz et le pétrole. La construction d’usines de conversion et d’enrichissement, l’augmentation des capacités actuelles de traitement et la maîtrise technologique coûtent très cher. Le déclin de l’industrie nucléaire ces dernières années ne pousse pas les capitaux dans ce domaine. Des décisions politiques et financières ont introduit beaucoup d’incertitudes pour d’éventuels nouveaux projets. Beaucoup de pays ont décidé soit de fermer les centrales, soit de ne pas renouveler le parc existant. Les capitalistes veulent avoir des garanties sur le long terme pour réaliser les importants investissements nécessaires. Les centrales nucléaires, contrairement aux centrales thermiques à gaz, ne se réalisent pas en quelques mois.

Pour l’instant, nous observons une situation très contrastée. D’un côté, Rosatom perd des clients (la Finlande et la Suède ont annulé des contrats) et voit ses possibilités d’exportation entravées, comme l’accès aux financements. Mais par ailleurs, de nouveaux marchés se présentent. Le groupe revendique actuellement 34 projets de construction à l’étranger (Turquie, Égypte), d’un montant total de 140 milliards de dollars. (Le Monde 29.11.2022)

 

Recycler ou abandonner l’uranium ?

Enfin, il reste une interrogation de fond. Pour faire oublier qu’elle produit en permanence des tonnes de déchets, dont certains resteront radioactifs pendant des dizaines de milliers d’années, l’industrie nucléaire entretient le mythe d’un « cycle » du combustible, où l’uranium usagé serait recyclable et recyclé. Ce qui implique des processus industriels complexes, coûteux et très polluants pour retransformer l’uranium issu des centrales et reste toujours inefficace. 

Seulement une partie de l’uranium usagé peut être utilisé dans cette phase de reconversion. 

Le transport de l’uranium de retraitement jusqu’en Sibérie révèle l’illusion du recyclage dans le domaine du nucléaire. En effet, les stocks de déchets radioactifs ne cessent de croître. Et si le retraitement en Russie devenait impossible, cette quantité pourrait encore augmenter sensiblement. Alors que les sites de stockage en surface, censés les accueillir temporairement, commencent à saturer. 

Cette situation inquiétante rend encore plus nécessaire une reconversion vers les énergies renouvelables et vers une forte réduction de la consommation d’électricité.

Texte:

JosL Sanchez:

Membre du comité éditorial du bimensuel « Solidarités », Ingénieur en télécommunications. Vit à la Chaux-de-Fonds.

Photo:

Centrale nucléaire de Leibstadt, Andreas Bachmann

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