Les pluies torrentielles qui ont martelées l’Europe de l’Ouest pendant près d’un mois lors de l’été 2021, engendrant des inondations aux conséquences tragiques pour l’Allemagne et la Belgique, sont restées dans les esprits. À Bienne, de manière bien moins dramatique, le record historique de 59 cm au-dessus du niveau normal de crue du lac a été enregistré le 16 juillet. Intuitivement, de nombreuses personnes y ont vu les conséquences du climat qui se réchauffe. Qu’en dit la science?
Au Nord des Alpes helvètes, l’été 2021 a été le cinquième le plus pluvieux depuis 1864, date des premières mesures météorologiques. De façon plus locale, Berne a enregistré la troisième saison la plus arrosée depuis les mêmes mesures.
Pour rappel, entre le 16 et le 17 juillet 2021, le lac de Bienne atteignait le niveau historique de 430,94 m, soit près de 60 centimètres au-dessus de son niveau normal de crue. Durant ces inondations, le plan d’urgence du Canton de Berne en cas de dangers naturels a été décrété et les rives étaient condamnées aux quidams. Étant donné qu’un quart des eaux suisses sont évacuées via les vannes du barrage de Port, les crues ont été endiguées progressivement. Le pompage des caves par les forces d’interventions a pu commencer le 21 juillet. Le niveau estival habituel a été retrouvé plus de deux semaines après la fin des orages.
Si la grêle et la pluie ne datent pas d’hier, la question d’un lien entre la hausse globale de la température et ces météos diluviennes s’est posée, de manière intuitive au moins, pour une partie de la population.
« Une extrême météorologique isolée ne suffit pas à vérifier des hypothèses quant à un lien de causalité avec l’évolution du climat. Il s’agit de replacer ces événements dans un contexte plus large, afin de pouvoir prendre du recul sur leur fréquence et leur intensité » précise d’emblée Martin Beniston, climatologue et professeur honoraire à l’Université de Genève.
« En revanche, la multiplication de pluies abondantes observée lors des dernières décennies, dans la majorité des régions du monde, ainsi que les épisodes de sécheresses qui deviennent de plus en plus fréquents, poussent de nombreux spécialistes du climat à affirmer que les événements météorologiques en Europe lors de l’été 2021, présentent une ‹très forte probabilité › d’être lié au réchauffement climatique ».
Atypies météorologiques de l’été 2021
Bien connue des météorologues, la situation atmosphérique qui a mené à ces précipitations n’est pas non plus née de la dernière pluie. Expliquée par le phénomène de la goutte froide survenant généralement au printemps et en automne : une masse d’air polaire chemine vers les latitudes moyennes par un courant d’altitude, stationne pendant plusieurs jours ou semaines au-dessus d’une zone donnée, soulève et refroidit les masses d’air chaud qu’elle surplombe.
Dans le contexte de l’été dernier, la succession des gouttes froides ainsi que la prolongation de leur stationnement au même endroit étaient plus inhabituelles. En effet, des températures exceptionnellement chaudes en Europe de l’Est et en Scandinavie ont fait barrage à la circulation de ces gigantesques bulles d’air froid, les bloquant sur l’Ouest du continent.
« Une situation qui a inévitablement mené à des débordements de rivières, localement catastrophiques comme en Allemagne et en Belgique, les 14 et 15 juillet» rappelle le climatologue.
Par ailleurs, le déluge européen coïncidait avec un dôme de chaleur stationnant sur le Nord-Ouest du continent américain ayant enregistré parmi les températures les plus brûlantes de son histoire, les canicules et les feux de forêt survenus en Grèce et en Turquie, ou encore les précipitations extrêmes tombées en Chine. « Bien qu’il s’agisse de situations météorologiques différentes, la plupart des experts s’accordent à dire que chacun de ces événements sont très probablement liés au climat qui se réchauffe inéluctablement », répète le climatologue.
Et de préciser néanmoins que «si la chaleur est une condition nécessaire dans le processus cyclique menant aux pluies diluviennes, celle-ci n’est pas toujours suffisante». Les crues des lacs de Suisse centrale et au pied du Jura, survenues en 2005, une année antérieure à la période 2015- 2021 lors de laquelle le climat s’est nettement réchauffé, illustrent son propos.
À l’avenir, augmentation des intempéries
« L’énergie thermique supplémentaire inhérente à un climat plus chaud augmente la probabilité de chaleurs extrêmes. Ceci est également vrai pour ce qui est de l’accélération du cycle hydrologique, engendrant des pluies abondantes ». Par ailleurs, la physique nous apprend que l’humidité présente dans l’atmosphère augmente de 7% pour chaque degré supplémentaire.
L’été dernier, le premier volet du sixième rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a également été publié. Auquel cas les moins optimistes de ses 5 scénarios possibles pour les décennies à venir devaient se concrétiser, la hausse moyenne de la température globale pourrait outrepasser les 2 degré Celsius passé 2050. Peut-on déjà en prédire les conséquences pour le Seeland?
«Je ne suis pas sûr que l’on puisse faire des prévisions climatiques sur un territoire aussi petit. On peut cependant affirmer que des canicules prolongées et plus fréquentes qu’aujourd’hui, sécheresses plus longues et des épisodes de pluies extrêmes deviendront la norme d’ici quelques décennies », explique Martin Deniston
Pour l’ensemble de la Suisse, les spécialistes du climat informent d’une modification de l’hydrologie de nombreux bassins versants des Alpes, tels ceux du Rhône, du Rhin ou encore de l’Aar. « Vraisemblablement, les cours d’eau connaîtront une légère augmentation de leur débit pendant l’hiver dû à la fonte précoce du manteau neigeux et une forte diminution de leurs écoulements estivaux en raison de l’absence du même manteau dès le printemps, et la disparition partielle, voire quasi totale, des glaciers : 50 à 90% de moins qu’aujourd’hui en 2100 ». Des perturbations en amont qui inévitablement, se répercuteront dans les régions peuplées de plaine, fortement tributaires des fleuves alpins pour leur approvisionnement en eau.
Rappelons qu’à lui seul, l’oblongue lac de Bienne apporte en moyenne 95 % de l’eau potable à la cité seelandaise, tandis que les courants de ses principaux affluents profitent à 3 centrales hydroélectriques. Si l’antédiluvien proverbe enseigne qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, les solutions permettant de contenir la hausse de la température globale demeurent inchangées.
Et le climatologue de rappeler l’importance de décarboner l’économie au plus vite, comme celle des petits gestes que tout à chacun peut réaliser afin de réduire collectivement l’empreinte carbone. « Dans le même temps, il faut envisager dès maintenant des stratégies d’adaptation idoines afin de se prémunir contre les impacts les plus négatifs d’un climat qui évolue rapidement». Selon lui, le politique tient un rôle crucial dans cette transition, bénéficiant des outils permettant les encouragements fiscaux et financiers à de telles mesures.
Texte:
Simon Petignat est né le 3 juillet 1993 et a grandi à la Chaux- de-Fonds. Diplômé d’un bachelor en création littéraire, il habite à Bienne depuis 2016. Il aime lire, écrire, se promener et bouger pour les thèmes qui l’intéressent.
Photo :
Andreas Bachmann, Inondations à Bienne, 16.7.2021