La conception néolibérale de la liberté à notre époque nous mène dans une impasse écologique et sociétale. La liberté d’extraire des ressources naturelles sans limite, de produire sans éthique et de consommer sans fin se heurte aux contraintes de la nature. Qu’en serait-il si l’humanité renouait avec une conception de la liberté plus en phase avec les équilibres de notre environnement naturel et social. Serions-nous capables d’habiter la Terre de manière solidaire à l’intérieur des limites planétaires ?
Il semble que la vision de la liberté portée par le monde libéral global soit devenue l’unique alternative économique envisageable, une liberté comportant beaucoup de droits mais peu de devoirs. D’une part, une liberté de commerce reposant sur la mise à disposition, gratuite, des ressources naturelles considérées comme infinies vise la maximisation à court-terme des profits et intérêts individuels, tels que la propriété de biens et la consommation sans limite. Alors que les intérêts collectifs tels que le partage équitable des ressources et leur préservation sont négligés. D’autre part, ce cadre de pensée dominant nous propose comme but ultime dans l’existence la liberté impulsive de consommer (consumer) le monde sans contrainte. Libre dans un avion pour découvrir de nouveaux horizons, libre dans ma voiture pour aller au magasin, libre sur internet pour commander des habits, libre de me faire livrer des repas et on en passe.
Les revers de la liberté néolibérale – Le droit d’exploiter et de détruire
Des études scientifiques récentes indiquent que l’humanité serait entrée dans une nouvelle ère géologique marquée par l’activité anthropologique. En effet, l’ensemble des indicateurs socio-économiques (population, PIB, consommation d’énergie et de ressources naturelles, investissements, biens de consommations…) et terrestres (CO2, azote, acidification des océans, exploitation des forêts et des terres…) s’emballent dans une « grande accélération » liée au développement industriel. La notion de « limites planétaires » nous met en garde : l’équilibre bio-géo-physico-chimique propice à la vie est sapé par un mode de vie prédateur. Nous sommes entrés dans une ère où la conception néolibérale de la liberté empiète à tel point sur celle du vivant, qu’elle se referme sur nous comme un piège et risque de nous priver de marge de manœuvre.
Mais encore faut-il qualifier ce « nous » ou cette humanité devenue une force géologique. Le monde libre et globalisé repose en effet sur des dynamiques d’exploitation inconfortables et gênantes où les inégalités se creusent et atteignent des proportions inimaginables. Le confort de quelques privilégié.e.s repose non seulement sur l’utilisation de ressources communes, mais également sur l’exploitation d’une humanité rendue invisible. Une humanité qui au final a probablement bien peu d’impacts sur les limites planétaires.
Cependant, alors que les revers de cette conception de la liberté sans contrainte sont attestés scientifiquement de manière de plus en plus éclairée, le modèle de développement continue de nous enfoncer dans ce mirage. La technologique serait notre unique salut permettant de poursuivre la croissance et ses prétendus bienfaits pour la société. Et si nous commencions à considérer l’option que certaines « libertés », par leur aspect écocidaire, pourraient être, osons le mot, illégales ? Ou en tous les cas, collectivement discutées à la lumière des biens communs et des conditions de la paix ?
Une société libre à l’intérieur des limites planétaires ? Orienter nos désirs
Pour interrompre cette fuite mortelle en avant, au-delà de l’option de la réglementation, considérons la question de la transformation de nos valeurs collectives. Quelles seraient les conditions pour favoriser le développement d’un autre rapport à la liberté, au plaisir, au confort qui soit moins basé sur l’exploitation généralisée ou l’innovation stérile et davantage sur une éthique du partage et de la préservation ? Comment garder ce désir d’émancipation et de prospérité sans détruire nos conditions de vie et pervertir notre humanité ?
Comprendre
Il existe visiblement un enjeu éducatif majeur. Pour encourager une citoyenneté respectueuse des équilibres du vivant, prenons du recul pour favoriser une éducation systémique, interdisciplinaire et orientée sur le sens de l’existence.
Les programmes enseignés en disciplines normatives telles que l’économie, la finance, le droit et l’éthique (et donc à nos futur.e.s décideurs.euses) devraient idéalement promouvoir une vision du monde qui soit en cohérence avec une relation pérenne entre l’Homme et la Terre. Même si les actes dans ce sens sont encore faibles, il existe des signaux encourageants, à l’image de la récente conférence en mai dernier du Parlement Européen sur « l’après-croissance » ou comment concilier prospérité et limites planétaires au sein de l’union européenne ?
Et si nous commencions par permettre au plus grand nombre de comprendre dès le plus jeune âge les véritables enjeux de notre époque par une généralisation de l’enseignement transversal sur ces thèmes ? L’expérience de la convention citoyenne en France l’a montré : les solutions proposées par des personnes tirées au sort et (in)formées aux enjeux écologiques, sont sans exception des mesures de sobriété et de décroissances.
Transformer le rapport à la liberté
Poursuivons ce travail de réappropriation de notre pensée en y ajoutant une dimension intérieure et imaginative. Pour court-circuiter le fatalisme ambiant et donner de la valeur à une confrontation responsable et constructive face à l’urgence. En effet, la confrontation aux faits avérés en conjonction d’un travail personnel intérieur représente un moyen de mobiliser et motiver l’action citoyenne, créative et créatrice.
En étant conscient.e que le mode de vie consumériste a un prix naturel et humain très élevé, quels sont mes ressentis ? Est-ce qu’écouter une émotion, telle que la compassion pour cet autrui, proche ou lointain dont le travail invisibilisé permet, par exemple, la construction de ma voiture, ne pourrait pas m’aider à voir la liberté de rouler sous un autre angle ? Voire me motiver à agir et à vivre autrement ? Pourrions-nous transformer notre statut de consommateurs.trices en des relations d’échanges, de partages et de services rendus de manière éthique et responsable ? D’ailleurs, ne me sentirais-je pas plus libre de déambuler dans des rues libérées (!) de la tentation consumériste ?
InterAgir
La compréhension des enjeux et le travail intérieur sont de bons alliés pour une « éducation au futur » : imaginer les futurs possibles, prévus, probables, indésirables et surtout, souhaitables. C’est sur ce principe que de multiples outils pédagogiques et ludiques se développent aujourd’hui. Basés sur des connaissances scientifiques et/ou des projets existants de transition ces outils permettent de développer une conception nouvelle de la liberté à travers des fresques, des ateliers de transition intérieure ou des jeux éducatifs qui favorisent une projection dans des utopies réalistes.
Ces outils mènent de manière plus ou moins directe à se questionner par exemple sur comment une société juste et écologique produit, partage et consomme sa nourriture. Ou encore comment les êtres humains d’une société pérenne se déplacent, par quels moyens et pour aller (jusqu’) où ? Ce qui amène à questionner le sens de l’activité humaine : Que font les êtres humains de leur temps dans une telle société ? Comment s’organisent-iels localement et à plus grande échelle ? Quel sens donnent-iels à ces activités et à la liberté ?
Dans tous ces domaines, il existe déjà des exemples de personnes, collectifs ou entreprises qui s’engagent et se réalisent dans ces petits gestes de « déconsommation » et de sensibilisation. Ce sont en réalité de grands gestes qui montrent d’autres possibles sur la manière de répondre à nos besoins fondamentaux de manière pérenne, dans le respect des limites et des équilibres planétaires et humains.
Texte:
Sophie Perdrix & Naomi Vouillamoz
Spécialisées en psychologie pour l’une et en sciences de la Terre pour l’autre, elles ont mis sur pied ensemble une formation interdisciplinaire aux enjeux écologiques qui invite les participants à questionner la notion de liberté dans les limites planétaires.
www.le-bon-sens.ch/formationecologie
Photo:
Marc-Hatot, Pixabay
Pour aller plus loin
Fressoz, J.-B. & Bonneuil C. (2016). L’événement anthropocène : La Terre, l’histoire et nous. Nouvelle édition augmentée. Points.
Projet « 2030 glorieuses » : Reprenons le pouvoir des utopies – Partons ensemble à la rencontre des personnes qui incarnent les signaux faibles des mondes de demain ! À travers leurs exemples, une société plus égalitaire, plus durable et plus heureuse semble à portée de mains – www.2030glorieuses.org
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Illustration: Auteur.rice inconnu.e - Pépites des réseaux sociaux: " Clase de historia en una sola imagen"