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Vous avez dit dans le calme ?

Les souvenirs d’une militante venue soutenir les zadistes durant l’évacuation de la colline du Mormont nous plongent au cœur de la bataille. Si les images irréelles des hélicos et des flics anti-émeutes vues aux médias étaient dignes d’un film et donc quelque peu aseptisées, ce texte montre l’envers du décor.

Chaque fois qu’on me demande : « t’étais sur la Zad pendant l’évac’ ? ça s’est plutôt bien passé finalement, non ? », ma respiration se bloque un court instant, avant que je ne reprenne mes esprits pour choisir sous quel angle je suis capable émotionnellement, de raconter…

30 mars 2021 – Répression sur la Zad de la colline

Tard dans la nuit, je me glisse enfin dans mon sac de couchage, aux côtés de mes copaines, dans le dortoir. Cabane construite quelques semaines plus tôt, elle accueille celleux qui sont venu⋅e⋅s pour résister à l’évacuation imminente de la Zad. On est nombreux⋅ses, sur la colline. Je suis agitée et remontée à bloc. Quelques heures plus tôt, réuni⋅e⋅s en grand cercle, dans la pénombre de ce qu’on sait être notre dernier soir partagé ici, dans le champ entre la maison et les yourtes, on échangeait les dernières nouvelles. Témoins ému⋅e⋅s de toutes nos présences déterminées. Prêt⋅e⋅s autant qu’on ne le peut à défendre la colline. Sensibilisé⋅e⋅s à éviter précautionneusement, malgré le stress, les petits drapeaux plantés à l’orée des bois, pour marquer la présence de chaque orchidée à protéger, avec qui on partage cet espace depuis plusieurs mois. Décidé⋅e⋅s à s’opposer à la destruction du vivant de ce lieu, à Holcim et son monde. A faire face à l’armada répressive qui va probablement nous tomber dessus dès l’aube.

On est nombreux⋅ses, mais pas tant que ça. Je suis inquiète. J’ai froid. Et je ne trouverai certainement pas le sommeil. Dehors, du monde s’affaire encore sur cette Zad qui grouille dans la nuit. Je sursaute régulièrement, chaque son me semble hors du commun. L’un d’eux sort soudain vraiment du lot : un hélicoptère nous survole. Cette fois c’est clair, les forces du désordre sont en route. Il tourne et tourne, cela me semble durer des heures. Je somnole malgré tout. Puis le grand sursaut, la corne de brume ! Combien de fois l’ai-je portée autour du coup pendant nos tours de gardes cet hiver. A parcourir la Zad, à craindre une montée de quelques groupuscules qui viendraient casser du zadiste, ou notre matériel. A observer de loin les vigiles dans leur voiture aux gyrophares orange, tourner pour leur propre ronde, celle qui vise, elle, à défendre la carrière d’Holcim…

C’est parti ! On se sert fort dans les bras, mon amie et moi. J’agis machinalement dans l’urgence. J’attache mon pull noir autour de ma tête pour dissimuler mon visage, je mets mes lunettes de ski contre les Gaz lacrimo. J’embarque un maximum d’affaires dans mon sac à dos et je rejoins le groupe de copaines avec qui j’ai rendez-vous, devant le grand tronc. Une fanfare se joint à nous et ensemble, on traverse la barricade-mine pour la dernière fois, direction la carrière. Notre rôle : retarder le plus longtemps possible les véhicules, les machines et la police qui viendront tenter de déloger les zadistes. 

3 avril 2021 – Police partout, justice nulle part ! 

La bise souffle, je suis glacée par la colère et la tristesse. Au milieu d’une foule vêtue de noir, encore en partie encagoulée, je cherche des yeux mes copaines. Celleux que j’ai appris à aimer au cours des derniers mois, pour leur bienveillance, leur engagement pour le vivant, pour un monde sans oppressions. Mes camarades de lutte et de vie sur la colline. Celleux dont je n’ai pas de nouvelles, celleux qui se cachent des institutions policières et judiciaires depuis l’évacuation. Iels ont été criminalisé⋅e⋅s de vouloir défendre des orchidées, une colline, une brèche pour construire un monde juste. 

On manifeste aujourd’hui à Lausanne pour dénoncer la répression des mouvements sociaux.

Tout ce qu’on y apprend m’écœure : Les zadistes qui ont refusé de décliner leur identité ont été mis⋅e en garde à vue et se sont vu infliger jusqu’à 3 mois de prison ferme. « C’est dégueulasse. C’est pour nous intimider. C’est pour tenter de briser le mouvement. On ne se laissera pas faire ! »

L’équipe médicale sensée pouvoir être présent⋅e⋅s sur la Zad durant toute la durée de l’évac’ en cas de besoins de soins a déjà été évacuée à la mi-journée. L’une d’elle témoigne : placée en garde à vue, fouillée à nu, y compris les orifices. Même en zone de guerre, on est sensé ne pas toucher au corps médical, non ?

Pareil pour le respect de la liberté de presse, selon un article du Courrier du 30 mars 2021 : « Les journalistes et photographe du Courrier – dont deux avaient passé la nuit sur place – ont été traité·es avec un autoritarisme de mauvais aloi. Le système des accréditations inventé pour l’occasion par la police vaudoise constitue une entrave, à notre avis illégale, à la liberté de la presse et d’informer, et qui ne saurait rester sans suite. Il n’est pas admissible de parquer les photographes – comme cela avait été le cas lors d’une manifestation à Lausanne en 2019 – ni d’expulser celles et ceux qui ne portent pas le «gilet officiel» distribué par les pandores, comme cela est arrivé hier lors de l’évacuation de la ZAD. ».

Mais le choc surtout, c’est d’apprendre qu’un de nous vient d’être emmené à l’hôpital ce matin. Il tenait encore, dans un arbre, avec une copaine. Iels étaient les dernier⋅ère⋅s. Un espoir sous tous les regards. Il a chuté ce matin, après trois jours à tenir dans le froid, son matériel confisqué par la police, épuisé par la lumière et le bruit du dispositif de surveillance.

Alors à la manifestation, fumigènes noirs, police partout, justice nulle part ! », et je sais pourquoi je le crie aujourd’hui. Pendant l’évac, les policiers ont levé leurs matraques sur mon ami. Il tentait d’empêcher, en marchant simplement sur la route, les fourgons de police de repartir de la colline avec nos copaines arrêté⋅e⋅s. Ils ont embarqué nos copaines par la force et les ont placé⋅e⋅s au froid dans des cages, pour les déférer directement devant les procureur⋅euse⋅s et leur infliger de bien trop lourdes peines. Ils ont massacré le champ qui nous avait accueilli et dont on avait pris soin, à coup de gros véhicules qui laissent des traces profondes dans la terre. Ils ont arraché à la pelleteuse nos cabanes ornées de poésie. Ils ont fait pleurer ma maman, mes sœurs de lutte. Ils m’ont poussé jusqu’à la gare, au milieu d’une foule nassée. Un char d’assaut trônait au centre du village, « à bas le militarisme ! » Dans leurs uniformes, sans vaciller, ils m’ont mise de force dans le train et escortée loin de la colline, loin des orchidées, loin des copaines. Alignés, surarmés de virilité crasse et brutale, leurs regards creux alors que je leur chantais de toutes mes forces, à ces flics, cet hymne de la Zad du Testet:

GARDE LA PAIX
Chanson de la Zad du Testet – novembre 2014


Refrain :

Gardien de la paix
Es-tu sûr que c’est bien elle que tu gardes ?
Derrière ton bouclier, ouvre grands les yeux et regarde
Ce sont tes enfants et tes sœurs sur les barricades
C’est ton sang qui coule à chaque fois qu’on abat un arbre

Es tu sûr d’avoir choisi le bon camp?
Rêvais tu vraiment à ça quand t’étais enfant?
Si t’avais choisi ce métier pour protéger les gens
Pourquoi es tu ici en train de protéger leur argent?

Refrain

S’ils continuent comme ça à réduire la forêt à néant
Que restera-t-il de la Terre pour nos enfants ?
Si tu restes là, oui si tu les défends
Tu cautionnes la folie de tous ces truands!

Refrain

Regarde comme on vit, regarde comme on y croit
En construisant l’avenir, dans des cabanes en bois
Crois-tu vraiment que c’est nous qu’il faut combattre
En faisant ça, c’est l’utopie que tu matraques !

Regarde comme tu es bien plus armé que nous
Avec tes grenades contre nos cailloux
Si tu nous tabasses, si tu t’en balances
Ce sera l’escalade de la violence

Refrain

Pose ton bouclier, prouve leur que tu existes !
Viens boire un café avec les ZADistes
Quitte donc tes œillères, ton poste et puis tes chaines
Cette Terre qu’on défend est aussi la tienne !

Aujourd’hui, à cette manif, je n’ai plus de voix. On entend dans certains médias et au gré des conversations, que la Zad a été évacuée sans violences ni contrainte, dans le calme. Non ! Notre évacuation forcée, la mise en cellule, les menaces de prison, l’impératif de se cacher ou de se tenir « tranquille » par peur de la répression, n’est-ce pas de la contrainte ? Saccager un territoire grouillant de biodiversité, détruire des maisons et des rêves, envoyer 600 flics surarmés contre 200 zadistes en fleurs, n’est-ce pas une opération violente ?

Taire la force de la répression subie avec l’évacuation de le Zad de la colline et la souffrance ressentie face à la destruction du vivant sur le Mormont comme ailleurs, c’est violent ! Et cela doit être dit.

Mai 2021 – Alors on élève à nouveau la voix

Alors ce soir, je chante à nouveau. A la chorale révolutionnaire, avec les copaines, on chante pour un activiste, emprisonné à Lausanne pour de présumées actions antipub. Il fait une grève de la soif pour dénoncer l’injustice de son incarcération. « La pub pollue nos rêves ! » On chante pour Howey Ou, activiste chinoise venue militer à la Zad, actuellement en grève de la faim pour protester contre les peines de prisons infligées aux zadistes. On chante pour celleux de tous les procès climats qui, ce printemps, font face à la justice répressive. On chante pour reprendre espoir et se régénérer.  

Il nous faudra encore du courage, maintenant que la répression augmentera suite à l’approbation le 13 juin dernier dans les urnes de la loi sur les mesures policières (LMPT). 

La terre entière est aujourd’hui une zone à défendre contre un système mortifère. Nous avons acquis, sur la colline, une expérience incroyable et sommes déterminé⋅e⋅s à la poursuivre, alors « Zad partout!»

Eglantine: Activiste Biennoise.

Photos: Mamilaine

Communiqué de presse des zadistes publié via les réseaux sociaux de la Zad quelques jours après l’évacuation :

Ils peuvent évacuer une ZAD mais pas un mouvement

Mardi 30 mars, aux aurores, c’est en dansant au rythme des tambours que la ZAD de la Colline s’est réveillée. Haute en couleurs, la résistance se voulait festive et ce malgré les tensions. Pancakes chauds entre les mains des militant.e.x.s, les premiers blocages se mettaient en place tranquillement devant le cimetière de La Sarraz et dans la carrière d’Holcim. Grâce aux nombreux soutiens de la Grève du climat et d’Extinction Rébellion, la police a mis plusieurs heures à arriver jusqu’au premières barricades érigées. Nous sommes incroyablement reconnaissant.e.x.s de l’aide apportée par ces groupes qui ont rendu cette résistance bien plus forte. 

Derrière les blocages, une foule de statuettes en terre cuite bloquait la route qui monte sur la colline, formant une image boule-versante au fur et à mesure que les engins de destructions les écrasaient. Plus loin, la barricade d’entrée de la ZAD a vu arriver une centaine de policier.e.x.s suréquipé.e.x.s face à des militant.e.x.s bien déterminé.e.x.s à protéger tant leurs maisons que le vivant. A l’intérieur de la ZAD, certain.e.x.s étaient suspendu.e.x.s dans les airs, dans des tripodes, des skypodes, des cabanes et des arbres, prêt.e.x.s à faire des aller-retours sur des traverses pour perturber les interventions. D’autres étaient accroché.e.x.s avec des armlocks sur le toit de la maison au centre de la ZAD. Nous étions là, avec notre radio pirate logée à plus de dix mètres dans les arbres qui boostait nos forces, organisé.e.x.s face aux troupes de police qui arrivaient en masse. Chacun.e.x à notre manière, en liant offensive, action symbolique et tactiques de ralentissement des forces de l’ordre, nous défendions à la fois notre avenir et un autre monde.

En face de cette résistance diverse et colorée, se déployaient les uniformes ternes de la police. Ce qui nous a frappé, c’est l’asymétrie des moyens mis en place. Ce 30 mars, c’est une armée qui s’est abattue sur la ZAD : des blindés, des dizaines de camionnettes, de nombreuses motos, des canons à eau, deux hélicoptères, des pelles mécaniques … Le dispositif policier était gigantesque et sans commune mesure avec les boules de peintures, les quelques pierres et les barricades en bois de la ZAD. Leurs armures renforcées, leurs boucliers anti-émeutes et leurs armes sublétales incarnaient, dans le murmure de nos poèmes, l’absurdité la plus totale.

Les images des pelles mécaniques et des monstres motorisés d’Holcim détruisant en quelques secondes des cabanes en bois construites en plusieurs mois nous déchirent le cœur. Nous sommes dégouté.e.x.s par la froideur métallique d’une entreprise et d’une justice qui démolissent sans état d’âme une expérimentation en acte d’une vision d’avenir vivable.

Pourquoi une telle armada devait tomber sur la ZAD ? De quoi est-ce que l’État a peur pour mobiliser un nombre si disproportionné de policier.e.x.s ? Selon un rapport du canton de Vaud, plus de 600 d’entre elleux ont été mobilisé.e.x.s. La décision de justice d’expulser la ZAD est du mauvais côté de l’Histoire. Elle se met du côté des intérêts des grandes multinationales mortifères, prêtant leurs machines à la police pour, ensemble, anéantir notre lutte. Contre cette justice soumise à la toute-puissance d’Holcim, nous savons que notre combat pour défendre le vivant et sa diversité est juste et nécessaire pour que nous puissions connaître un avenir souhaitable pour tou.te.x.s.

La police peut évacuer une ZAD, mais elle ne peut éteindre un mouvement. Au contraire, elle attise notre détermination et confirme la nécessité de porter notre lutte sur deux fronts. Le premier en nuisant à la normalité économique – celle de l’exploitation et de la destruction des êtres vivants – par des manifestations, des grèves, des blocages, des appropriations et occupations de terres, etc. Le second en s’attachant à des lieux qui nous tiennent et auxquels on tient, en y inventant d’autres manières d’être, de nouvelles sensibilités, de nouveaux rapports à soi et aux autres. Apprendre à les défendre surtout, et depuis cette position nouvelle, nuire inévitablement et fièrement au système mortifère. Le débat que nous avons amené autour de la protection de ce lieu emblématique ainsi que sur la production de béton est une victoire certes. Mais notre intention n’est nullement de se contenter du discours politique institutionnel qui nous promet de nous avoir entendu tout en rasant notre lieu de vie. Nous revendiquons une écologie radicale bien loin de l’immobilisme de ces mêmes institutions qui nous mènent tout droit à la catastrophe. Notre détermination, à l’image des dernier.e.x.s zadistes encore perché.e.x.s dans les arbres après plus de 3 jours, mènera sans aucun doute à d’autres actions. Notre mouvement peut recevoir des coups, courber l’échine sous la douleur mais il ne faiblit pas pour autant. Nous nous relevons et grandissons. Ami.e.x.s, soutien.x.s, restez à nos cotés, avançons ensemble à l’image du monde que nous avons bâti pendant cinq mois.

Pour finir, nous voulons redire un grand merci à tout le travail dans l’ombre qui à permis de résister. La ZAD a déjà apporté tant à tant de personnes. Elle portera et apportera encore. L’Histoire nous donnera raison.

LaFargeHolcim, autres multinationales écocidaires et États complices on ne vous laissera plus agir. Le soutien ne suffit plus, nous appelons à l’action.

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