Alors qu’à Berne, le jeûne de protestation de Guillermo Fernandez perdure, les scientifiques du GIEC n’attendent plus que la confirmation des parlementaires suisses pour se déplacer au Palais fédéral présenter leurs conclusions les plus récentes quant à l’urgence climatique.
Guillermo Fernandez, ou l’homme qui a tant fait couler d’encre dans le courant de cette fin d’année, était toujours présent au rendez-vous quotidien qu’il s’est fixé avec le Parlement Suisse, samedi passé. Pour rappel, après à la diffusion du rapport du GIEC le 9 août dernier, l’homme avait envoyé une lettre de revendications à Simonetta Sommaruga. Il se trouve que le jour de la publication des pronostics scientifiques coïncidait avec l’anniversaire de sa fille cadette. Alors en tant que papa, il a pris ses quartiers sur la place fédérale, une pancarte « grève de la faim pour le climat de nos enfants » suspendue autour du cou. D’emblée, la condition de son retrait était posée : les parlementaires devaient assister à une séance de formation sur le dérèglement climatique avant qu’il ne retouche une assiette.
Moins d’un mois plus tard, soit lundi 26 novembre, vingt-six scientifiques suisses du GIEC et de l’IPBES ont adressé un email à chacune et chacun des membres des deux chambres. Dans leur courriel, ils se sont dits disposés à soutenir la demande du gréviste et soucieux de la santé de ce dernier. Plus loin, les signataires précisaient qu’ils étaient prêts à faire un premier briefing aux conseiller.ères immédiatement, c’est-à-dire à exposer «les preuves scientifiques de l’ampleur et de la gravité sans précédent des crises climatiques et de la biodiversité». Ils qualifiaient également la demande du gréviste de raisonnable et méritant d’être honorée. À ce propos, la conseillère d’État Adèle Thorens-Goumaz estime que « le fait d’être bien informé sur la question consiste en une opportunité et probablement le meilleur prérequis pour agir de manière adéquate ».
Démarche affective
Rencontré, le chef de projet en informatique de quarante-sept ans affirme qu’«il est normal pour un parent de tout faire afin de protéger ses enfants». Par ailleurs, il juge que ce n’est pas à la génération d’aujourd’hui de réparer les torts causés aux temps de la sienne et la précédente. Dans la Liberté, le 18.8.2021, il avait glissé un billet d’humeur teinté par le pressentiment d’un destin tragique. En clair, ce n’est pas le monde qu’il envisage pour les générations à venir et on le sent fermement décidé à tout faire pour rectifier la trajectoire, comme à incarner une conduite éthique et responsable face à l’enjeu climatique. Étant prêt à aller jusqu’au bout, il a la certitude que dans le pire scénario quant à sa personne, son héritage laissera l’exemple d’un ancêtre concerné. «Une terreur absolue m’a poussé dans cette aventure. La première chose qui m’a frappée était le nombre de personnes qui sont venues vers moi pour partager leurs angoisses. Pour moi, l’important est que les gens puissent exprimer leurs peurs sans tabou. Si j’ai pu raviver un peu d’espoir par mon action, tant mieux !».
En dépit de « la tragédie du moment » et des risques pris, il semble que rien ni personne ne puisse entamer sa bonne humeur. Le protestataire assure être soulevé par la force que lui a donnée son choix comme par la bienveillance de la majorité des personnes venues à sa rencontre lors des dernières semaines. Chaque samedi, soucieux de témoigner leur solidarité, des camarades -proches ou pas- organisent des veillées aux chandelles. Quant à d’autres, ils viennent partager quelques jours de jeûnes avec lui. Et la pétition à l’intention de la conseillère fédérale a presque atteint les 7000 signatures escomptées à ce jour. Le nobéliste Jacques Dubochet lui a par ailleurs rendu visite à la mi-novembre et témoigné sa gratitude via son blog sur le site du Temps. Sa famille soutient son action sans réserve et chaque soir, il échange au téléphone avec elle, à propos du jour écoulé, comme après une journée de travail, sauf que dans son meublée loué à Berne, « à part un lit, une chaise et une bouilloire, il n’y a pas grand-chose. »
Côté santé, le gréviste envoie tous les jours des mesures de tension et de température à son médecin, l’indicateur le plus viable restant les pulsations cardiaques. Il prend une préparation de vitamine afin d’éviter les lésions cérébrales, ainsi que de l’eau chaude avec du sel, du gingembre et du citron, comme on peut le lire dans l’article de die WochenZeitung, paru le 25.11. Malgré une perte de 17 kilos communiquée samedi 4.11, il se montre donc frais et dispo. « Mieux vaut démarrer dans ce genre d’affaires avec un peu de couenne» ironise-t-il.
Guillermo qualifie également son acte de signe de respect envers les activistes pour le climat qui risquent leurs vies partout ailleurs. Selon ses dires, son choix pour ledit moyen de protestation s’est opéré plutôt intuitivement. « À mon échelle d’individu, la grève de la faim semblait clairement être la stratégie la plus efficace ». Emu, il salue l’exemple de l’avocate turque Ebru Timtik, décédée en prison l’année passée, dans l’attente d’un procès équitable. « Même de manière posthume, l’action de cette dame a eu une influence puisque son camarade, Aytçak Ünsal a finalement pu être libéré ».
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Simon Petignat habite à Bienne depuis 2016. Diplômé d’un bachelor en création littéraire, il apprécie écrire et rédige des piges comme travail d’appoint.
photo en haut: Simon Petignat
photo en bas: Andreas Bachmann
Dernier rapport du GIEC
Dans le communiqué de presse du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, on y apprend qu’à moins «de réductions, immédiates, rapides et massives des émissions de gaz à effet de serre, la limitation du réchauffement aux alentours de 1,5°, ou même de 2°, sera hors de portée ». Conséquences ? Intensification du cycle de l’eau, modification de la répartition des pluies, acidification des océans, multiplication des niveaux marins extrêmes, érosion des littoraux, fonte des glaciers et des calottes glacières, le tout à un niveau global. Dans ledit rapport figure aussi, et pour la première fois, une évaluation approfondie des conséquences futures à des échelles régionales avec des augmentations certaines des pics de chaleurs et des inondations pour l’Europe centrale. Pour plus de détails, voir l’atlas interactif du GIEC créer à cette occasion : https://interactive-atlas.ipcc.ch/.
#PapaOnHungerstrike
Le site officiel de Guillermo Fernandez