La population de la commune de Vittel risque de se voir privée de l’eau provenant des nappes phréatiques, en raison des pompages de l’entreprise Nestlé Waters, réalisés pour produire et vendre des bouteilles d’eau minérales.
Point de la situation par le Collectif eau 88, citoyennes et citoyens engagés, qui n’ont pas dit leur dernier mot.
Quelle est la situation à Vittel?
A Vittel, il existe trois nappes phréatiques. Les deux nappes les plus superficielles font l’objet d’un monopole d’exploitation par la multinationale Nestlé.
Quant à la plus profonde (250 m sous terre), dite nappe des grès, elle est partagée entre la population (eau du robinet), Nestlé (embouteillage), les collectivités locales et les agriculteurs ainsi qu’une fromagerie (processus de fabrication). Cette nappe est pourtant réputée être en situation de déficit chronique depuis les années 1970… un manque d’environ 1 milliard de litres d’eau par an !
1 milliard de litres ! c’est justement la quan- tité que Nestlé fut autorisé à embouteiller dès 1992, afin de produire la marque d’eau minérale Vittel Bonne Source (exportée principalement en Allemagne, mais aussi en Autriche et en Suisse), alors que la perte de quantité du liquide présent dans les réserves était déjà scientifiquement reconnue par le Bureau de Recherche et de Géo- logie Minière.
Dans le contexte de la directive européenne sur l’eau (DCE), la France a été contrainte de prendre des mesures nécessaires concernant la protection des ressources aquatiques en 2014. Dans la foulée de ces réglementations européennes, les autorités vittelloises ont proposé la réalisation d’un pipeline à fin d’ acheminer vers la cité une eau pompée à 15km de la. La raison de cette mesure était de continuer à satisfaire les besoins élémentaires de la population en eau, malgré le déficit dans le plus profond des réservoirs naturels de la région.
Cependant, cette mesure n’empêchait pas Nestlé de poursuivre son pompage et ne solutionne donc en rien le problème du déficit chronique dudit réservoir naturel, reportant même son équilibre à 2021. En résumé, rien n’a donc été entrepris du côté des autorités officielles afin de freiner l’exploitation de la nappe par le géant minéralier…
La résistance s’organise
Le Collectif associatif Eau 88 s’est constitué dans le but de contester le projet de pipeline. Fin 2019, après 5 ans de lutte qui ne faisaient que commencer, cette organisation composée de citoyens vittellois obtint l’abandon dudit projet auprès des autorités municipales, moyennant de nombreuses manifestations de rue, une forte médiatisation (télévision suisse, médias allemands et Médiapart en France) ou encore l’établissement de liens solides avec les collectifs anti-Nestlé d’Amérique du Nord.
Nous avons en outre mis en évidence des décharges monstrueuses de déchets plastiques datant des années 1970-1980, monceaux d’immondices filmés par les caméras du reportage ARTE diffusé par la chaîne franco-allemande en octobre 2021. D’ailleurs, suite à la sortie de ce film – sans oublier le boycott de la marque Vittel Bonne source depuis plus de 2 ans – , la chaîne de supermarchés LiDL a décidé de retirer définitivement l’eau minérale en provenance de Vittel des rayons de ses magasins. Cette visibilité nous a également permis de créer une véritable alliance avec les collectifs Volvic, en France (luttant contre le groupe Danone) et de Lüneburg, en Allemagne (combattant les pratiques locales de Coca-Cola).
Cependant, Nestlé continue son pillage aujourd’hui et l’équilibre de la nappe des grès est repoussé à 2027. En échange d’une diminution de ses prélèvements dans la plus profonde des nappes, la multinationale a, par exemple, été autorisée à prélever davantage d’eau dans les deux autres nappes plus superficielles, dont elle est par ailleurs la seule à connaître l’état hydrologique.
Et la suite?
En février 2022, Nestlé, ayant déjà retiré l’eau minérale Vittel Bonne Source du marché suisse pour la remplacer par la marque Vittel Grande Source (puisé justement dans les nappes plus superficielles), annonçait le retrait sur le marché allemand et autrichien de tous ses produits embouteillés à Vittel et Contrexéville. Côté embauche, cette décision signifie une suppression de 150 emplois au minimum, à prévoir d’ici les deux prochaines années (les effectifs comptaient 4500 salariés en 1975, 1100, en 2015, et 750 aujourd’hui).
La population est sous le choc, bien sûr. Mais il faut bien comprendre que les géants minéraliers comme Nestlé Waters sont dans une impasse, coincés entre les ressources en eau des nappes souterraines qui diminuent, le réchauffement climatique qui accroît cette diminution, et la question du plastique, de plus en plus rejeté par les populations occidentales.
Pour certains, c’est le début du désengagement de Nestlé du commerce de l’eau minérale. En 2020, la multinationale vendait d’ailleurs toutes ses marques à des entreprises états-uniennes ou canadiennes. Une bonne nouvelle pour les nappes ? Affaire à suivre, donc.
Texte :
Bernard Schmidt, membre du Collectif eau 88
Photo :
Collectif eau 88