Cette année, entre le gel, les inondations, les incendies et le dernier rapport du GIEC, les faits laissent peu de place au déni du dérèglement climatique global. Pourtant, entre urgence écologique et croissance économique, les messages contradictoires sont omniprésents. Face à ces dissonances, certaines personnes en viennent à questionner leur sentiment de cohérence dans leur vie.
Une recherche de sens dont on ne sort pas indemne mais qui ouvre à une vision lucide et porteuse de vie.
Est-il possible d’être écolo tout en achetant une nou- velle voiture ?
Nous évoluons dans un environnement saturé d’informations. En plus d’être incessantes, les informations auxquelles nous sommes confronté.e.s véhiculent souvent des messages contradictoires, reflétant la diversité des opinions et des intérêts et surtout, la complexité voire la « schizophrénie » de notre société. Voici une brève sélection du moment :
- Juin 2021, gare de Neuchâtel: Juste à côté de la publicité qui vante la rapidité du réseau 5G le plus puissant de Suisse, une autre affiche montrant des insectes en train de militer pour leur droit à la vie (campagne de Pro Natura).
- Mai 2021, Newsletter de la Fédération suisse des psychologues (FSP) : Un appel à contribution pour s’engager dans la recherche entre psychologie et changement climatique, directement suivie d’une information pour les membres de la fédération qui bénéficient de rabais sur l’achat d’une voiture neuve.
N’importe quel jour en 2021, en ouvrant un journal quotidien : on y trouve généralement un article sur le dérèglement climatique et ses conséquences systémiques ainsi qu’un article sur la reprise de l’économie suite au frein COVID.
Quotidiennement, nous sommes confronté.e.s à un double message. D’une part, celui de la croissance économique indispensable qui dépend d’une consommation en constante augmentation. De l’autre, celui de la protection du vivant qui dépend elle de la remise en question de cette même consommation. En effet, à l’heure de l’Anthropocène il est contra- dictoire d’inciter la population à acheter une voiture neuve, à passer à la 5G, et de soutenir la relance d’un système économique qui a conduit aux problèmes systémiques actuels. Pourtant, c’est bien ce à quoi nous sommes quotidiennement encouragé.e.s à participer, notamment au travers de la publicité. En parallèle, renforcé par les récents évènements, le discours écologique prend de l’ampleur. Alarmiste, il est difficile de rendre son message attractif et motivant à appliquer. Pourquoi me priver de la 5G pour l’environnement ou pour la santé si c’est encouragé par mon fournisseur, mon employeur et mon conseil fédéral ?
En psychologie, on nomme « injonctions paradoxales » les messages contradictoires qui nous mettent en situation d’impossibilité d’en satisfaire un sans en transgresser l’autre. Les injonctions paradoxales placent le récepteur dans un dilemme, souvent inconscient, que l’on pourrait comparer à devoir choisir entre la peste et le choléra. Reprenons l’exemple de la mobilité. Les messages nous parvenant invitent à la fois à poursuivre le modèle de la mobilité individuelle motorisée tout en informant qu’il est important de favoriser la mobilité douce si l’on veut agir pour l’environnement.
Quel est le choix du récepteur face à ce double message ? « Si j’achète une voiture, je ne suis pas écolo ». « Si je n’achète pas de voiture, je suis écolo mais je suis embêté.e pour aller au travail. Par ailleurs, sans voiture, je me sens moins intégré.e/ reconnu.e dans la société ». En résumé, une injonction paradoxale mène à l’échec assuré puisqu’elle ne comporte aucune « proposition gagnante », celle où l’on pourrait acheter une voiture en étant écolo ou ne pas acheter de voiture et garder son statut social.
Nous agissons de manière
moins rationnelle que nous le pensons
Certes, la vie est aussi faite de compromis. Il est impossible de vivre dans une totale cohérence. Selon le lieu de vie ou la profession, il est parfois impossible de poursuivre une activité professionnelle sans posséder de voiture. Toutefois, une majorité de personnes pensent qu’il faudrait faire davantage pour la protection de l’environnement. Dans ce cas, comment composer intérieurement, par exemple entre l’achat d’un véhicule et le souhait d’agir de manière plus écologique ? Ici la psychologie peut à nouveau nous éclairer sur les mécanismes intérieurs qui sont en jeu.
La théorie de la dissonance cognitive nous dit que l’être humain n’aime pas l’inconsistance. Un exemple fréquent concerne une inconsistance entre une attitude (« Je suis favorable à la protection de l’environ- nement ») et un comportement (« Je viens de m’acheter un superbe 4×4»). Face à ce paradoxe, la personne propriétaire du 4×4 va tenter de réduire la dissonance interne créée par l’écart entre ses pensées et ses actes. Afin de rétablir de la cohérence, elle aura alors tendance à penser que le problème écologique n’est peut-être pas
si grave, si vrai, si urgent, si important en Suisse ou encore que cette voiture, elle en a vraiment besoin. Il se peut même qu’elle devienne moins favorable à la protection de l’environnement afin d’ajuster à posteriori ses idées à son comportement d’achat.
Et si au final le besoin de cette voiture ne reposait que sur le fait qu’elle a été achetée? En résumé, par un discours ambiant dissonant et des mécanismes cognitifs de protection peu rationnels, nous poursuivons et nous justifions des modes de vie qui ne sont pas écologiques. Mais les faits sont là. Les études convergent depuis plusieurs décennies pour nous annoncer la forte probabilité de l’effondrement de notre civilisation fondée sur l’exploitation des ressources naturelles. Plus nous repoussons le changement et plus nous renforçons le problème. Pour atteindre les objectifs de durabilité que de nombreux Etats, dont la Suisse, se sont fixés, les changements individuels et collectifs à adopter sont importants. Alors, comment intégrer ce que nous savons déjà et agir en conséquence ?
Crise du sens et développement
d’un rapport au monde plus cohérent
Aujourd’hui, toujours plus de personnes se questionnent, voire consultent, car ils ressentent un sentiment d’incohérence dans leur vie. Ils sont dans des dilemmes car ils ne savent pas comment concilier ce qu’ils ressentent au fond d’eux et ce qu’ils font au quotidien. « Acheter une nouvelle voiture, est-ce vraiment nécessaire ? », « Quel est le sens et la finalité de mon travail?», «Pourquoi travailler autant pour pouvoir partir en vacances alors que je suis épuisé.e et que j’aimerais passer davantage de temps avec mes enfants ? ». L’effritement de la représentation du monde consumériste et productiviste n’est plus un phénomène marginal car ces valeurs ne parviennent plus à donner un sens à l’existence. D’ailleurs, ces questions existentielles pourraient même être renforcées par l’augmentation des messages contradictoires. Si des études ont montré que certaines injonctions paradoxales peuvent aller jusqu’à être à l’origine de troubles psychologiques, la bonne nouvelle est que la confrontation saine aux paradoxes peut aussi devenir un outil de transformation personnelle.
Intégrer les faits scientifiques sur la crise écologique bouscule des visions du monde bien établies, notamment celle du progrès permanent. Cette prise de conscience systémique des enjeux planétaires est si profonde qu’elle implique une forme de deuil. Elle est très difficile à y faire face car elle met à nu nos ignorances, nos fragilités et nos peurs. C’est d’ailleurs pour cette même raison qu’elle nous ramène à notre humanité, à
notre rapport à l’existence, à la mort et au sens de la vie. Ainsi, réfléchir à la question de la cohérence dans sa vie peut nécessiter de prendre du recul par rapport aux valeurs collectives qui sont véhiculées et au sens de l’existence qui nous est proposé. Lorsqu’on aimerait passer davantage de temps avec ses enfants ou avec soi-même ou encore de vivre d’autres valeurs humanistes au quotidien, comment procéder sans remettre en question un système de valeurs individualiste et matérialiste qui incite peu à la contemplation et au ralentissement ?
Quant à la mobilité, il s’agirait dès lors de non seulement comprendre intellectuellement qu’il est important de favoriser la mobilité douce mais également d’intégrer que plus de mobilité douce est égale à moins de déplacements. Ce qui signifiera certainement un ralentissement de nos modes de vie. Accepter les limites écologiques, c’est entamer un chemin de résilience intérieure. Il peut se faire en partie seul.e en changeant progressivement son mode de vie et son mode d’être au monde. Cependant, l’avènement de nouvelles valeurs collectives plus humaines et écologiques nécessite aussi d’agir à plusieurs. Il s’agit de se soutenir pour trouver collectivement des réponses aux paradoxes de notre époque et de donner ainsi un nouveau sens collectif à une vie terrestre pérenne.
Texte: Sophie Perdrix a ouvert son cabinet de conseil écopsychologique en orientation en 2020 par besoin de cohérence. Sur la base de données scientifiques, elle aime offrir matière à réflexion pour progresser vers des modes de vie durables et résilients. Elle travaille notamment sur un projet d’ateliers pour l’écocitoyenneté à Bienne.
Photo (en haut): Deux affiches visibles à ce jour dans les rues de Bienne.
Question pour l’esprit critique : A quoi pourraient ressembler les métiers du futur dans une Suisse neutre en carbone ?
Pour aller plus loin :
Sutter, P.-E. & Steffan, L. (2020).
N’ayez pas peur du collapse. Desclée de Brouwer.