Un bon logement doit être abordable, confortable, adapté aux conditions climatiques. Il répond à un besoin humain fondamental. Au-delà des enjeux environnementaux, les logements réalisés aujourd’hui répondent-ils aux modes de vie de demain ?
La réflexion sur le logement est souvent limitée par la logique économique et l’exigence de rendement, le réduisant à un « nombre de pièces », un « produit » destiné à un « public cible » : les familles sont composées de couples avec 2 enfants ; les étudiants sont fêtards et bruyants ; les séniors sont seuls et en chaise roulante. Or la réalité sociale des ménages est plus riche et les évolutions rapides : baisse de la fécondité, généralisation des couples non mariés, augmentation des séparations, multiplication des familles monoparentales, homoparentales et recomposées, augmentation de l’âge de départ des enfants, vieillissement de la population, travail et loisirs à domicile (surtout numériques), etc. Un logement conviendra un temps mais rarement éternellement. Il conviendra à certains mais pas à d’autres.
Ce qui caractérise donc le mieux les ménages aujourd’hui est leur non-caractérisation !
Alors comment (ré-)inventer le logement du futur ? Voici quelques principes pour réaliser des logements adaptés.
La diversité résidentielle
La multiplicité des modes de vie impose de multiplier les types de logements, leurs formes (taille, nombre de pièces, relations, orientations, etc.). Mais il faut aussi développer et mixer les catégories : location ou propriété, marché libre, régulé ou subventionné, logement et activités.
Pour éviter l’entre-soi et le ghetto, il faut distribuer toutes les catégories et les typologies à la plus petite échelle. Cela impose d’élaborer des opérations les plus complètes possibles et nécessairement complexes. C’est le prix de la mixité mais c’est aussi une limitation du risque locatif selon le principe « pas tous ses oeufs dans le même panier ».
Le chez-soi « nomade » et la « gestion élastique »
Face aux inévitables changements dans la composition des ménages, le déménagement devient la meilleure solution. Comment convaincre par exemple quelqu’un qui a habité un logement plusieurs dizaines d’années, qui s’y est attaché, d’en déménager pour plus petit et souvent même plus cher ? C’est pourquoi la diversité résidentielle au sein d’une opération immobilière ou d’un immeuble est un atout pour offrir aux voisins directs la possibilité d’y trouver le logement adapté à leurs nouveaux besoins tout en conservant les liens sociaux du voisinage.
Cette mobilité résidentielle est possible à condition de réaliser des opérations à prix coûtant et offrant une grande diversité typologique. Les coopératives d’habitation (et d’habitants) sont des maîtres d’ouvrages adaptés à la « gestion élastique » et l’adoption de règles d’attribution favorisant le « nomadisme de proximité ».
Des dispositifs construits permettent aussi de reconsidérer les limites entre logements et à l’intérieur du logement. On peut par exemple intégrer des « valences », pièces accessibles depuis la distribution commune, qui peuvent être rattachées ou sorties du logement, attribuées à un autre logement ou réaffectées à d’autres fonctions, en studio pour l’adolescent émancipé, en bureau pour une activité indépendante, en chambre d’amis commune à l’immeuble, etc.
Le logement sobre et « résilient »
Si le chez-soi nomade implique de redistribuer tous les équipements à toutes les échelles, on risque fort de produire des logements trop luxueux en surface et en équipements et donc inabordables pour le plus grand nombre. Pour équilibrer le bilan, il est important de redistribuer les surfaces et équipements plutôt que de les démultiplier, de reconsidérer les standards actuels plutôt que de les élever sans cesse. Revenir à des logements plus « sobres » participe à questionner le mythe de la croissance infinie. Réfléchir à ce qu’on pourrait avoir en plus ensemble devrait s’accompagner d’une réflexion sur ce qu’on devrait abandonner.
La mutualisation de locaux (salle commune équipée, chambre d’amis, etc.) ou le développement de nouvelles typologies devraient s’accompagner de cette sobriété, sinon la mutualisation et les technologies participent à donner à la coopérative une mauvaise image, un « joujou de bobos » ou de la « PPE déguisée ».
Le chez-soi éphémère ou de transition
Les parcours de vie sont ponctués de nombreux changements, nécessitant une réorganisation des ménages. On vit en famille, en couple, avec ses propres enfants, on se sépare, on se recompose, les enfants quittent le ménage, reviennent provisoirement, le conjoint décède, on change de travail, on tombe malade et on se retrouve fragilisé, etc.
Certaines situations nécessitent d’offrir des logements de transition, c’est-à-dire des solutions d’hébergement de courtes (logements relais, d’urgence) ou moyennes durées (logements protégés). Les personnes concernées ne sont ni totalement dépendantes, ni indépendantes économiquement, socialement, psychologiquement, au niveau de leur santé, etc. Ce sont les caractéristiques vécues par une majorité des personnes du 4e âge mais la fragilité touche d’autres populations.
Dans ce sens, la solution se trouve plus dans la nature « intermédiaire » du logement de transition que dans la stigmatisation d’une catégorie. Ce qui caractérise ces logements est donc avant tout la durée résidentielle limitée, d’une nuit, de plusieurs semaines ou mois, un ou deux ans.
« Seul ensemble » : des petits logements
Pour l’instant, les tendances démographiques ont eu pour effet d’augmenter l’offre pour des petits logements (2 et 3 pièces), ce qui permet d’augmenter le coût du logement par m2 et ainsi les profits des promoteurs.
De plus, la surface par personne dans les petits logements est plus importante que dans les grands logements. Ainsi la consommation de surface ne cesse d’augmenter, participant ainsi à la pénurie actuelle.
Enfin, les personnes vivant seules dans des petits logements sont plus sujettes à l’isolement et la solitude. Il y a ainsi un double enjeu pour les petits logements, dimensionnel et social : contenir la consommation de surface et ouvrir le logement sur les communs et le voisinage.
Les ressources du voisinage et de la mutualisation
En général, les développeurs immobiliers cherchent à limiter les surfaces des communs car elles n’ont pas de rentabilité. On admet pourtant de mutualiser les buanderies. Alors pourquoi ne pas mutualiser des salles communes, chambres d’amis, locaux de bricolage, équipements ou services hors logements, pour permettre des économies d’échelle tout en offrant plus ?
La mutualisation de locaux et de services redonne un sens au partage et une réalité à la communauté du voisinage sans pour autant tomber dans le communautarisme forcé. Les bénéfices du partage sont économiques, écologiques (le partage comme moyen d’économiser les ressources et de l’argent) et sociaux (les relations humaines). La mutualisation valorise le voisinage comme ressource et participe dans ce sens à lutter contre l’isolement des personnes vivant seules.
Au principe de mutualisation s’ajoute celui de « mutuabilité ». En effet, plus le projet est important, plus l’offre en activités mutualisées est diversifiée et les synergies multiples. La « mutuabilité » dépend ainsi de l’échelle du projet.
La proximité résidentielle
On l’a vu précédemment, le logement devrait permettre de (re)trouver des solidarités intergénérationnelles occultées par l’avènement du modèle exclusif de la famille nucléaire. Avec la fin de cette exclusivité, ces solidarités peuvent réapparaître, à une condition cependant : la solidarité et l’entraide fonctionnent essentiellement grâce à la proximité du réseau social : quand les grands-parents habitent à proximité, ils peuvent s’occuper de leurs petits-enfants et leurs enfants peuvent s’occuper d’eux s’ils en ont besoin. Les « proches » deviennent alors « proches-aidants », le-a voisin-e devient une ressource.
L’implication
Pour réaliser des logements adaptés à leurs habitants, il faut connaître leurs besoins et leurs modes de vie. Le meilleur moyen est encore l’implication des futurs habitants dans le projet qui les concerne directement. En tant que « propriété commune de ses membres », les coopératives d’habitants se sont distinguées principalement sur cet aspect. L’habitant passe du statut de consommateur à celui d’acteur de son logement.
On le voit, il est temps d’adapter la façon dont on conçoit les logements afin de les rendre compatibles avec les évolutions des modes de vie. En parallèle, il faut répondre aux enjeux environnementaux et leurs conséquences majeures sur le climat intérieur de l’habitat. Ces changements ne peuvent se résumer à l’adaptation de normes applicables pour les nouvelles opérations. Il est fondamental de transformer en profondeur le parc immobilier existant pour l’adapter aux nombreux enjeux d’un siècle incertain. Pour ce faire, il sera nécessaire de sortir la conception de logement de la seule logique du profit. Là encore, les coopératives et autres sociétés d’utilité publique ont démontré leur savoir-faire pour proposer des alternatives économiques solides.
Texte: Laurent Guidetti est architecte et urbaniste chez TRIBU architecture à Lausanne. Il est l’auteur du Manifeste pour une révolution territoriale, paru en 2021 aux éditions Espazium.
Image: © TRIBU architecture
Le Bled, écoquartier des Plaines-du-Loup, Lausanne, en construction. Coupe sur la salle de spectacle, le foyer, la salle commune.
L’exemple du Bled dans l’écoquartier des Plaines-du-Loup à Lausanne
La coopérative sociale d’habitants Le Bled est né à l’initiative de TRIBU architecture en 2011 dans le but de mettre en œuvre des projets sans but lucratifs, exemplaires sur les plans écologiques et sociaux.
Le premier projet du Bled est situé dans l’écoquartier des Plaines-du-Loup.
Il comprend 77 logements de catégories diffé- rentes, en location à prix coûtant -attribués par la coopérative ou par la Ville- et en PPE. Le taux d’effort et le prix du foncier par m2 varient en fonction des catégories afin de financer
les locaux socio-culturels tout en restant en dessous du prix du marché.
En plus des catégories, douze typologies différentes ont été développées : logements interdépendants, clusters, logements fami- liaux traditionnels et différentes variations typologiques laissées au choix des habitants.
Le bâtiment accueille également des activités indépendantes de tailles variées notamment des bureaux et un commerce. Il comprend aussi des activités mutualisées, entre autres une salle polyvalente et de spectacle, un foyer, une salle commune, un Bled BnB (hébergement de courte durée), un salon commun et une terrasse commune de plus de 450m2 au 5e étage.
Le Bled
Pour en savoir plus sur le projet