Entendre que cette crise sanitaire a des avantages ou est une chance pour le climat peut être ressenti pour de nombreuses victimes de la pandémie comme indécent. En effet, diminuer un (tout petit) peu les émissions de CO2, observer des méduses à Venise ou la vie « sauvage » redevenir visible et audible est cher payé en regard des 400’000 morts dans le monde, annoncés par l’OFSP et une crise économique profonde pour des millions de travailleurs /euses.
Cette crise sanitaire pourrait bien être une bombe à retardement pour le climat. Selon le monde de l’Energie, le gouvernement des Etats-Unis va acheter du pétrole et remplir ses réserves fédérales à raison de milliards de dollars afin de soutenir cette industrie. Selon le quotidien belge le Soir, le Canada investira des milliards de dollars pour rendre l’extraction de gaz et de pétrole de schiste plus rentable. la Chine projette de nouvelles mines de charbon et veut adapter sa politique climatique aux impératifs économiques.
En Suisse les chambres fédérales refusent tout net de mettre des conditions à Swiss pour l’octroi d’un prêt et ne considèrent pas indécent que les actionnaires reçoivent des dividendes alors que les contribuables payent leurs salariés. Les organisations patronales proposent de casser les protections prévues dans la loi sur le travail, en particulier en ce qui concerne le temps de travail et d’élargir les heures d’ouverture des magasins, y compris le dimanche, pour relancer l’économie. Profiter de cette crise pour imposer ce que la population a déjà refusé maintes fois et ne serait certainement pas accepté en temps normal. Les affaires sont les affaire, point final !
Derrière la préoccupation de « protéger la population » se cachait le souci que le système hospitalier ne s’écroule, un risque réel au vu de la politique d’économie et de gestion managériale de la santé de ces deux dernières décennies. Nous avons été abreuvés d’images de malades intubés et entourés de haute technologie, images angoissantes s’il en est ! Les victimes du Coronavirus sont aussi celles de la pollution atmosphérique, de la mauvaise alimentation et du stress au travail. Cela s’appelle de la comorbidité, ne l’oublions pas !
Et chacun et chacune isolé chez lui, « restez à la maison et lavez-vous les mains », on nous le répète à l’envi. On a compris ! On dirait des mères à leurs enfants qui jouent dehors à l’heure du souper ! Nous nous retrouvons atomisés, sidérés, angoissés alors que nous devrions être dans la rue et criez notre refus intransigeant de leur irrespect pour la vie, quelle qu’elle soit, de leur rapacité, de leurs mensonges et de leur égoïsme. Nous nous retrouvons aussi isolés de nos collègues de travail, chacun derrière son ordinateur à la maison ou sans activité professionnelle et sans salaire. Nous devons nous résoudre, pour tenter de résister quelque peu, à téléphoner au syndicat, qui se démène pour soutenir les travailleurs. Y compris nos enfants sont isolés dans une famille trop souvent idéalisée, privés d’école, de jeux en plein air, de copains, ce qui est pour eux aussi le sel de la vie. Et sans parler des personnes « à risque » « fragiles » que sont les malades et les retraités. Les retraités ne travaillent plus, peuvent rester chez eux (quand ils ont un chez-eux) donc les autres pourront poursuivre leurs tâches sur les chantiers et dans les usines et peu importe s’ils tombent malade, faute de protection adaptée.
Mais l’option du confinement a-t-elle été la bonne manière pour combattre cette pandémie et protéger la santé ? Il ne faut pas oublier que le confinement, s’il dure, est nuisible pour la santé, en particulier psychique. D’autres pays ont choisi de tester massivement et d’isoler les personnes contaminées et malades. Nous, nous avons sagement obéi à nos autorités et nous n’avons guère été curieux. Et pourtant d’autres spécialistes ont critiqué cette stratégie. L’absence de débat ouvert, en particulier dans la presse, est à cet égard inquiétant.
Où est l’opulence que les défenseurs de la mondialisation nous promettaient ? Manque de matériel de protection, de personnel de santé, de médicaments. Nous n’avions pas été averti que notre opulence se trouvait en Chine ! Et quelle opulence ? Celle de milliers de travailleurs précaires qui n’ont plus de quoi s’acheter à manger, de payer leur loyer ou leur assurance maladie.
Cette crise a aussi montré la fragilité de la démocratie dont on nous vante tant la perfection suisse. Le Conseil fédéral décide, conseillé par un Ad-hoc Krisenstab de « spécialistes » Qui et quels secteurs sont représentés dans cette Task Force ? Selon Republik, le magazine digital 12 hommes et 2 femmes et 3 secteurs : l’économie avec le chef d’Economie Suisse, la société civile avec le responsable d’une start up Staatslabor et la recherche par un épidémiologiste. Pas de représentant des syndicats, des soignants, des enseignants… On reste entre soi !
Non, non, cette crise n’est pas une chance pour le climat. C’est une calamité qui touche, non pas tout le monde, riches ou pauvres, mais les travailleurs, les précaires, les travailleurs du secteur informel dans les pays du Sud, les femmes, les familles monoparentales. Mais d’autres se frottent les mains : en premier lieu les GAFAM. L’AGEFI titre : « Les géants de la Tech assurent leur puissance avec le Coronavirus ». En effet Amazon a augmenté son chiffre d’affaires de 26%, soit de 15 milliards de dollars dans le premier trimestre de 2020, Microsoft de 15% soit 4,4 milliards et Face Book de 2,6 milliards ». Sans compter les pharmas, les grandes surfaces alimentaires, etc. Non nous ne sommes pas tous dans le même bateau !
Mais tout n’est pas noir de noir
Cette crise sanitaire est un révélateur de la toxicité d’un système qui privilégie les intérêts privés au bien commun. Elle peut nous permettre de pointer et servir de tremplin pour activer les bons raisonnements, poser les bonnes questions et enclencher des dynamiques privilégiant l’intelligence collective.
Elle a révélé que la solidarité citoyenne s’est activée quand il le fallait et c’est rassurant. Des milliers de personnes ont fait les courses pour les personnes à risques, ont créé des activités culturelles, ont pris soin de leurs grands-parents ou redécouvert leurs enfants. Elle permet que les personnes les plus touchées reçoivent des aliments de base. C’est finalement « une bande de femmes » qui a assuré l’essentiel pour la vie : infirmières, vendeuses, caissières, soignantes à domicile, etc. et il faudra s’en souvenir lorsque viendra le temps de la revalorisation des conditions de travail et de salaire de ces métiers comme le souligne Myriame Roth dans son article p. …
Cette crise a également révélé l’importance des communes, organes politiques au plus près des besoins de leur population. Ce sont elles qui souvent ont pu faire savoir qui est âgé.e et seul.e à la maison, qui a besoin d’aide, ont pu organiser les bénévoles et leurs employés pour assurer les services de base, coordonner et apporter l’aide nécessaire. Remplir leur rôle au plus près des populations en connaissant leurs besoins.
Et après ?
Toute crise est un déséquilibre qui se cherche un nouvel équilibre.
Nous savons ce qu’il faut faire : ralentir, privilégier les énergies renouvelables, réintroduire régionalement les productions essentielles à la vie, renforcer les services publics, établir des rapports commerciaux justes avec les producteurs, qu’ils soient ici ou ailleurs, les propositions intelligentes et pertinentes ne manquent pas. En bref réparer le monde !
Mais avant tout nous devons défendre bec et ongles nos droits démocratiques, car pouvoir exprimer son opinion, descendre dans la rue, publier des articles critiques et débattre ensemble, faire grève. Ce sont ces droits qui vont nous permettre de franchir les étapes vers un monde plus durable, juste, égalitaire et respectueux de la vie sous toutes ses formes.
La question est comment ? Cette crise a permis à de nombreuses personnes de découvrir, qu’il y a des producteurs locaux, des produits biologiques, une consommation raisonnable, qu’un ordinateur n’est pas une école, que les services de santé sont essentiels comme leur personnel et que le cœur de notre santé sont les liens sociaux. Comment prolonger et enraciner ces nouvelles expériences pour qu’elles deviennent pérennes ? Comment résister aux injonctions à consommer que nous devons déjà subir à nouveau ?
Nous n’avons pas la réponse à ce comment. Elle devra se construire au fil des expériences réalisées un peu partout. Avec des gestes et des actes.
Les jeunes ont mis le feu aux poudres les mois qui précédèrent cette crise sanitaire, ont mis le climat et la lutte pour le vivant au centre du débat public et imposer les priorités politiques. Ce mouvement doit être reconstruit, soutenu et légitimé absolument. C’est un bon début de réponse.
Ne les laissons pas seuls !