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Les métaux rares et la transition écologique

Les nouvelles technologies promettent beaucoup : efficacité, intelligence et zéro pollution entre autres. Elles offrent surtout un prétexte pour ne pas avoir à repenser nos modes de vie.
Qu’en est-il des coûts environnementaux associés à l’industrialisation de ces technologies dites « propres » ? Nous vous emmenons faire un tour en amont, à la source de ces produits vendus comme la solution à la transition écologique.

Les mobilisations pour le climat, la crise sanitaire, la montée des inégalités et les aspirations universelles pour un monde plus juste marquent le désenchantement pour un système sociétal qui rend tout le vivant malade, humains, animaux et végétation. 

Afin de nous réenchanter voici que sont venues les énergies renouvelables et les technologies propres (clean tech). L’éolien, le solaire photovoltaïque, l’hydrogène ; les voitures, vélos et trottinettes électriques ; le numérique, son intelligence artificielle et la 5G vont nous sauver des effets du dérèglement climatique, nous permettront d’être enfin efficients et propres, durablement. 

Mais les énergies renouvelables et technologies propres associées à cette révolution « verte » ne sont rendues possibles que grâce aux métaux et terres rares. L’utilisation industrielle des métaux rares et terres rares est devenue indispensable à notre nouvelle société « écologique » (voitures électriques, éoliennes, panneaux photovoltaïques) et numérique (smartphones, ordinateurs, tablettes et autres objets connectés). 

Qu’en est-il vraiment ? Quels sont les processus industriels nécessaires pour que ces matériaux précieux se retrouvent dans notre poche, dans notre garage ou sur le toit de notre maison ?

Métaux rares et terres rares : c’est quoi ?

Les métaux représentent les éléments à la base de l’industrie moderne. Ils sont omniprésents dans nos sociétés et indispensables à nombre de nos besoins élémentaires tels que l’habitat ou les transports. On définit tout d’abord les métaux communs, comme le fer par exemple ou l’aluminium, abondamment présents à la surface du globe. Viennent ensuite les métaux stratégiques comme l’or, l’argent ou encore le cuivre, répartis de manière inégale sur terre et qui peuvent donc présenter des risques d’approvisionnement. Il n’existe à ce jour pas de classification universelle des métaux rares. Celle-ci dépend des quantités disponibles, des usages et aux demandes de l’industrie ainsi que du potentiel de recyclabilité. Ce sont par exemple le cobalt, le germanium, l’indium, le niobium mais aussi le coke de charbon, le graphite ou le silicium métallique. Enfin, les terres rares représentent une classe à part appartenant aux métaux rares. Ce sont le groupe des lanthanides (15 éléments du tableau périodique dont le néodyme, le terbium ou le gadolinium), aux propriétés chimiques très proches, auxquels sont associés le scandium et l’yttrium. Contrairement à ce que leur nom suggère, l’abondance moyenne des terres rares dans l’écorce terrestre n’est pas particulièrement faible. 

Cependant, alors que les métaux communs ou stratégiques peuvent se trouver sous forme native (minerai naturellement pur), les métaux rares et terres rares sont en principe associés à d’autres éléments ou métaux. Ils se trouvent donc « dilués » dans la nature sous forme d’oxydes, de sels et bien d’autres formes minérales complexes. Par conséquent, les propriétés chimiques des métaux rares et terres rares n’ont pu être développées de manière significative que depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, grâce aux «progrès» technologiques permettant enfin de les séparer et de les isoler afin d’en créer des formes métalliques pures. 

Et le jeu en valait la chandelle, les métaux rares sont parés de propriétés fantastiques, permettant de potentialiser les performances des métaux traditionnels ; les terres rares possèdent des propriétés optiques et magnétiques indispensables au développement de nombreuses technologies de pointes.

L’industrie minière : extraction du minerai

Les métaux sont exploités à ciel ouvert ou sous terre, dans des gisements où les roches présentent une concentration naturelle en métaux supérieure à la moyenne, rendant possible une exploitation commerciale. Alors que les métaux conventionnels présentent généralement des concentrations en pourcent ou pour mille (par exemple les mines de cuivre ont généralement des rendements de 2 à 30 kg de cuivre par tonne de roche extraite), les métaux rares et terres rares se trouvent généralement dans des concentrations bien inférieures ; en part par million (ppm). Il faut ainsi traiter une tonne de roche pour extraire un petit gramme de platine ou de lutécium.

Ainsi l’industrie minière a surtout un impact sur l’énergie, l’eau et la pollution. Aujourd’hui, environ 10% de la consommation d’énergie mondiale est attribuée à la production des métaux. Puisqu’il est nécessaire de travailler des millions de tonnes de minerais, les engins miniers sont tout simplement des monstres aux dimensions stupéfiantes, encore et toujours alimentés au diesel. Et dans les mines artisanales, le sang humain remplace le diesel. L’eau est une ressource indispensable au broyage et à la concentration du minerai, et son utilisation devient ainsi problématique dans de nombreuses exploitations situées en zones arides ou semi-désertiques. Le cycle des eaux de surface et souterraines s’en trouve immanquablement perturbé. Enfin, les explosions et le broyage émettent quantités de poussières nocives et autres rejets. On estime actuellement que les déchets miniers seraient de l’ordre de 6 à 7 milliards de tonnes par an (donc environ une tonne par terrien et par an). Il en résulte le problème grandissant et critique du stockage des résidus miniers, dans des bassins de rétentions parfois rendus tristement célèbres lors de ruptures de digues.

L’industrie métallurgique : transformation du minerai en métal

Une fois que les minéraux à teneur en métaux rares ou terres rares ont été séparés des stériles (couches géologiques intermédiaires sans intérêt d’exploitation) par broyage et concentration, le contenu métallique doit être extrait et affiné. Pour cela, la fusion est en principe requise, afin de permettre la décomposition chimique des minéraux par le chauffage et la fonte. Les fonderies produisent tout d’abord des formes métalliques relativement impures qui seront envoyées ensuite dans des affineries afin d’y être purifiées à environ 99.9% et plus. Les procédés d’affinage nécessitent à nouveau quantité d’eau, d’acides et autres produits chimiques. Résultat : des défis environnementaux majeurs pour le traitement des déchets solides, liquides et gazeux.

Avons-nous bien dit propre et durable ?

À y regarder de plus près, la transition énergétique et écologique ne ressemble-t-elle pas plutôt à une transition matérielle, vers une exploitation exponentielle de métaux conventionnels ou rares, avec la pollution qui l’accompagne ? 

« D’un côté des pays sales et de l’autres des pays qui font semblant d’être propres »

Le coût de la protection de l’environnement étant indiscutablement élevé, les activités industrielles polluantes ont simplement pris le chemin de la délocalisation. Il semblerait que les pays occidentaux aient favorisé les profits à court terme à la mise en place des mesures nécessaires pour protéger l’environnement.

Qui se souvient aujourd’hui que le groupe chimique français Rhône-Poulenc, sponsor officiel de l’émission Ushuaïa présentée par Nicolas Hulot, était, dans les années 80, l’un des leaders mondiaux (avec 50% des parts de marché) de la transformation et de l’affinage des terres rares. Or, en raison de la pollution associée à son usine établie à la Rochelle (rejets et boues d’épuration expulsant  dans la nature, les airs et les eaux des impuretés telles que résidus de fer, de zirconium, ainsi que des éléments radioactifs naturellement associés aux terres rares), le groupe a abandonné en France le raffinage de métaux rares, pour délocaliser cette activité vers d’autres contrées moins regardantes sur la protection de l’environnement et des populations, et qui opèrent donc sans contrôle ni procédure de sécurité, avec des prix de main d’œuvre scandaleusement bas. De tels exemples sont monnaie courante. 

Ainsi, localiser les activités industrielles sales dans des pays dont les gouvernements veulent développer leur économie à n’importe quel prix apparaît donc comme une démarche économiquement profitable. La Chine s’est démarquée en acceptant ce pacte. Elle domine aujourd’hui le marché mondial des métaux rares et des terres rares ; nous lui achetons en retour ses matières premières en nous targuant de bonnes pratiques écologiques. D’autres pays comme le Brésil, la RDC, le Rwanda, la Thaïlande, la Russie, la Turquie (aux régimes politiques parfois autoritaires), tentent d’entrer dans la danse afin de gagner des parts de ce marché stratégique.

La facture !

Outre la destruction et le mitage des paysages, conséquences directes de l’extraction des matières premières (les Zadistes nous ont montré les ravages de Holcim sur la colline des Mormons), où que nous nous polluions aujourd’hui, « l’addition » prend les visages du dérèglement climatique, de la perte de la biodiversité et plus généralement des multiples signaux de détresse d’un écosystème mis à mal avec ses conséquences sur la santé des populations. La crise environnementale est globale, elle s’affranchit des frontières géographiques et politiques. 

Mais reste-t-il des fragments de nos modes de vie capables de fonctionner sans les nouvelles technologies et donc sans métaux, métaux rares et terres rares ? Reste-t-il aujourd’hui des secteurs économiques et industriels qui n’en soient pas tributaires ? Quelles dépendances les pays occidentaux ont-ils développés face aux pays producteurs de ressources stratégiques ? Quels seront les équilibres géopolitiques de demain ? Les accords commerciaux permettront-ils de sécuriser les approvisionnements et maintenir une stabilité (toute relative) dans nos pays ? 

Alors, on fait quoi ?

Les états échouent systématiquement à prendre les mesures qui permettraient de limiter les effets nocifs et destructeurs des nouvelles technologies sur le climat et l’environnement, comme de rationaliser les ressources minières, mettre en place des législations afin de permettre leur traçabilité, rendre le marché des métaux et terre rares moins opaque ou encore intensifier les contrôles sur les eaux ou les écosystèmes. 

Largement médiatisé, le nouveau Pacte vert pour l’Europe (qui ne définit rien de moins que la nouvelle stratégie de croissance européenne) reste très fortement ancré dans une vision techno-optimiste. Restons vigilants afin de voir si la très récente mise en place d’une taxonomie verte pour évaluer les impacts environnementaux des projets financés permettra d’obtenir des résultats.

La nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe propose par ailleurs de renforcer son autonomie à l’égard des matières premières critiques tels que les métaux rares. On constate donc aujourd’hui une recrudescence de l’activité minière sur le territoire européen.

Dès lors, il semble que les populations ont un rôle important à jouer. Ce sont probablement elles qui en dernier ressort seront les gardiennes et protectrices de l’environnement. En Extrémadure, la population et la municipalité de la région de Caceres se mobilisent contre l’ouverture à ciel ouvert d’une mine de lithium et d’une usine d’affinage, qui détruirait le poumon vert de la Ville, par ailleurs Patrimoine de l’Humanité. Dans le nord du Portugal, les habitants s’opposent à l’ouverture d’une mine de lithium, craignant pour les nappes phréatiques et pour les pâturages de cette zone classée au patrimoine agricole mondial par les Nations-Unies. Plus près de chez nous, les projets de l’Allemagne de forages à grande profondeur de part et d’autre du Rhin, toujours pour en extraire du lithium, sont combattus par une partie des riverains. 

En Suisse, l’acceptation par 50,7% des votants de l’initiative pour des multinationales responsables donne un signal positif sur le souhait (encore modéré) de la population de voir enfin des législations strictes apparaître sur la traçabilité ou la rationalisation des ressources ainsi que pour la protection des écosystèmes. À Bienne, le refus du projet Agglolac par Conseil de ville et le blocage du projet officiel de la branche Ouest A5, obtenus grâce à la ténacité de la population biennoise, montrent qu’il est possible de mettre un frein à des projets n’apportant aucune réponse aux défis climatiques et environnementaux d’aujourd’hui. 

Si certains ne veulent en rien renoncer à leur mode de vie, il semble heureusement que d’autres, toujours plus nombreux, appellent à un changement vers une sobriété, favorisant les circuits courts et une utilisation économe des ressources. Espérons que les tragiques déchaînements météorologiques aux dimensions apocalyptiques de cette année 2021 serviront à éveiller d’avantages les consciences à l’urgence de la situation.

Calire Magnin: Membre de la rédaction.

Naomi Vouillamoz: Géologue avec un doctorat en géophysique environnementale. Membre du conseil de ville biennois chez les vert•e•s.

Trois livres à lire pour celles et ceux qui aimeraient en savoir davantage :

• Guillaume Pitron (2018), La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les liens qui libèrent. • Florian Fizaine (2015), Les métaux rares : opportunité ou menace – Enjeux et perspectives associés à la transition énergétique, Éditions TECHNIP. • Philippe Bihouix (2014), L’âge des Low Tech – Vers une civilisation techniquement soutenable, Éditions du Seuil, collection Anthropocène.

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