Société

« Ce sont les actions qui produisent les rêves et non l’inverse »

Entre mai et mars 1871, suite à la l’armistice entre le gouvernement français et les armées prussiennes, les communard·e·s de Paris ont choisi de s’organiser de manière autonome, au sein de leurs quartiers, et se sont protégé·e·s des assauts de l’armée versaillaise en construisant des barricades et en prenant les armes. La Commune a finalement été violemment réprimée pendant la « semaine sanglante » et de nombreuses personnes ont été tuées ou déportées. Depuis lors, l’expérience et les inventions de la Commune de Paris ont continué d’inspirer les peuseur·euse·s et les activistes libertaires, comme le montre Kristin Ross dans son récent livre L’imaginaire de la Commune (La Fabrique, 2015).

Sur la plage, après le reflux de la marée, apparaissent des ruisselets à la « forme serpentine » écrivait le géographe anarchiste Elisée Reclus pour évoquer les entrelacs qui subsistent dans le sillage des mouvements sociaux (L’Histoire d’un ruisseau, 1882). Reprenant cette image, l’autrice Kristin Ross arpente « [ce] minuscule réseau de bulles d’air […] système d’échanges rapides, de croisements et de collaborations […] » à la recherche de l’« imaginaire de la Commune » – c’est-à-dire des idées façonnées par l’expérience de la Commune de Paris et de ses persistances, tant en pensées qu’en actes. Ce faisant, elle réactive la notion de « luxe communal » en tant qu’expression quasi-indéfinissable de l’expérience militante au sein de collectifs anti-autoritaires. Pour celleux l’ont vécu, que ce soit par la participation directe aux événements, ou en s’informant avec enthousiasme à ce sujet, la Commune a laissé une l’empreinte indélébile. Avec l’expression du « luxe communal », Ross nous invite à réactiver les inventions faites dans les luttes et à les transposer dans le présent.

Le luxe communal, c’est l’existence en actes

C’est dans un de ces « ruisselets » contemporains, sur l’(ex)Zone-à-Défendre (ZAD) de Notre-Dame-Des-Landes, que nous avons rencontré pour la première fois la notion du « luxe communal » (voir encart). Le terreau des Landes est fertile pour faire fructifier des définitions actualisées de ce luxe particulier. Sur des terres collectivisées, défendues face au joug de l’Etat, s’inventent des façons de faire société dont l’« échelle géographique [est] de l’ordre du vivable », écrit Ross. Comme la Commune, la ZAD est un « laboratoire d’inventions politiques, improvisées sur place ou bricolées à partir de scénarios ou d’expressions du passé, repensés selon les besoins du moment, et nourris des désirs nés au cours de réunions populaires de la fin de l’Empire ». Autrement dit, c’est un lieu de débrouille et de ré-enchantement, où les rêves d’abolition du capitalisme trouvent un terrain de concrétisation par l’expérimentation collective. Travail, habitat, éducation, relations, tout est repensé « en actes », c’est-à-dire testé, vécu et re-vécu ensemble, sur le tas, au fil des ajustements et sans programme défini à l’avance. 

Le luxe communal, c’est l’égalité en action

Un des chantiers de la Commune et de ses émulations, c’est la transgression de « la division qui assigne à certains un travail manuel et à d’autres l’activité de penser ». Quand cette division est surmontée, écrit Ross, « ce qui compte plus que toutes les images exprimées, les lois promulguées ou les institutions fondées, ce sont les capacités mises en branle. ». Toutes les compétences sont associées de manière collaborative pour arriver à une communauté fondée sur la solidarité. Dans cet ordre d’idée, la réflexion autour de l’éducation est cruciale : à quoi ressemble l’école lorsque la communauté pour laquelle on est éduqué·e n’est pas un système capitaliste ? Plusieurs penseur·euse·s étudié·e·s par Ross dans son livre promulguent une éducation « intégrale » qui ne sépare pas la main de la tête, et où toustes passent autant de temps à la lecture qu’au travail de l’établi. Iels repensent aussi l’esthétique et visent à « transformer l’art pour qu’il soit pleinement intégré à la vie quotidienne ». En ce sens le luxe communal, « c’est un art vécu – non pas superflu ou futile, mais vital et indispensable à la communauté ». 

Le luxe communal, c’est l’égalité dans l’abondance

« La fin du luxe fondé sur la classe ouvre des perspectives de richesse entièrement neuves » écrit Ross à la suite des communard·e·s « Le « luxe communal » [riposte] à l’idée d’un partage de la misère en proposant un type de monde absolument différent. Un monde où chacun aurait sa part du meilleur. ». Lors de notre séjour sur la ZAD, le « luxe communal » c’était la coopération dans tous les aspects de la vie sociale, depuis l’entretien des toilettes sèches jusqu’à la création collective d’émissions de radio. C’était aussi faire l’expérience d’un lieu pétri de tensions et de désaccords. C’était créer des moments de soin. C’était jouer avec la science-fiction pour inventer de nouveaux possibles. C’était comme une géographie détachée du temps, dans laquelle vivent des personnes qui ont en commun le fait de mettre la communauté au centre de tout, et ce faisant de déployer des parties de nous qui ont peu de place pour s’exprimer dans d’autres contextes. « De la Commune, [iels ont] retenu l’idée et l’expérience que loin de le réduire, l’égalité rend possible l’individualisme. » écrit Ross à ce propos.

Le vrai luxe ne peut être que le luxe communal

Vers la fin du livre, l’autrice revient aux grands penseurs du marxisme pour tenter une synthèse de la « philosophie concrète de la liberté » qu’est selon-elle l’imaginaire de la Commune : « Comme nous le rappelle Engels, la Commune n’avait pas d’idéaux à réaliser. Mais elle produisit une philosophie de la liberté supérieure à la Déclaration des droits de l’homme parce qu’elle était concrète. C’est pourquoi, pour Marx, la plus grande mesure sociale de la Commune ne fut ni plus ni moins que « sa propre existence en acte » – autrement dit le seul fait de son existence, limites et contradictions comprises. ». Tel le petit filet d’eau laissé sur la plage après le ressac, les oasis de « luxe communal » existent si l’on y prête attention. Elles prennent des formes variées et surprenantes. Elles s’inscrivent contre l’appauvrissement des imaginaires et la torpeur. Le « luxe communal » se situe dans ce qu’une communauté reconnaît, apprécie et considère comme une richesse. Et dans les mots de Ross, c’est un état de fait encourageant : « Il n’est pas nécessaire de commencer par le commencement, on peut commencer n’importe où ».

Texte:
Chénopode est féministe, biennoise, engagée. Elle prend recine dans les interstices, à 200 comme à 2000 mètres, et produit des feuilles en forme de flèches. C’est une plante aux vertus vitalisantesquand elle rencontre les flammes ardentes. Vivance et résistante, elle aime pousser à l’obre et prolifère en compagnie de ses semblables.

Photo:
Lucas Dubuis

Clubs et cafés de discusions de la commune de 1871, à la mode 2021.

 

Encart  : L’(ex) Zad de Notre-Dame-des-Landes

La ZAD (Zone à Défendre) est un mouvement d’occupation des terres de Notre-Dame-des-Landes contre la construction d’un aéroport. À l’origine, l’opposition s’est construite autour de la volonté de protéger une zone humide protégée. Elle s’est ensuite développée en une zone d’expérimentation et de vie en dehors de la société marchande et de diverses autres expérimentations sociales qui perdurent en partie aujourd’hui. Comme c’est le cas de la récente ZAD de la Colline du Mormont en Suisse, l’opposition au « grand projet inutile » et la volonté de préservation de l’environnement précèdent le recours à la stratégie militante de l’occupation du territoire. En 2018, après la décision du gouvernement français d’abandonner le projet d’aéroport, les zadistes ont été violemment réprimé·e·s et de nombreux lieux de vie ont été détruits. Depuis, la vie sur l’(ex)Zad s’organise autour de projets – principalement agricoles – qui subsistent et continuent de réinventer de nouvelles façon de vivre en communauté ainsi que des modalité d’accès et de mise en commun de la terre.

Pour aller plus loin : Nos cabanes – Marielle Macé, La Recomposition des mondes– Allessandro Pignocchi. Habiter en lutte – collectif comm’un. Écouter : « Génération ZAD » sur France culture, Ruse en 2,2 : http://www.utopiesonore.com/utopiesonore/ Voir le film : L’Étincelle (2021), Antoine Harari & Valeria Mazzucchi

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