Comme l’a écrit Roland Sidler (voire l’article en allemand), le Jumelage Bienne-San Marcos existe depuis 30 ans. Cependant, il y a environ 5 ans un groupe de coopération avec le Jumelage s’est formé à San Marcos « el grupo ». Il faut donc leur donner la parole à eux aussi. Trois des membres de ce groupe ont accepté de répondre aux questions et de donner leur point de vue sur le jumelage. Giovanni est cuisinier et actif depuis 5 ans, Judith est administratrice et également active depuis 5 ans et Oscar, employé des douanes et actif depuis 2 ans. Grâce aux nouvelles technologies de communication, ils ont pu donner une description de ce qu’ils font et de ce qui les poussent à agir.
Quelles sont leurs motivations à s’engager dans une telle activité, en sus de leurs longues journées de travail ? Giovanni nous dit « en premier lieu, l’amitié et la tendresse que vous les suisses avez pour San Marcos. Vous donnez votre temps et votre argent pour améliorer la vie ici. J’ai eu envie de renforcer les liens et moi aussi faire quelque chose pour mon peuple », Judith confirme « la solidarité m’a motivée. Mais également donner une continuité et veiller à ce que les projets entrepris ici se réalisent bien. Nous connaissons les besoins de cette ville et nous pouvons les transmettre » Oscar quant à lui a un peu tardé à rejoindre le groupe mais « après la venue de Marisol et de Mathilde (deux membres biennoises) il est devenu clair qu’il fallait un groupe de coopération ici avec l’appui de jeunes et cela m’a décidé. Il y a beaucoup de besoins ici ». Enfin, Judith rajoute un élément important « J’ai toujours voulu faire partie d’un collectif. Mais ici à San Marcos, il n’y avait que des organisations politiques ou religieuses et je ne pouvais m’identifier à elles, devoir suivre un « patron ». Le groupe de coopération du jumelage ne demande pas si je suis politique ou religieuse. On m’a seulement demandé si j’avais envie d’aider, faire partie de quelque chose, de construire à plusieurs, sans idéologie. C’est ce que me permet le Jumelage, d’appuyer certaines activités, y compris avec mes propres idées, et faire quelque chose de différent pour San Marcos ».
Mais que font-ils précisément, comment s’exprime leur engagement concrètement ? Giovanni en donne une description exhaustive : « il y a des activités permanentes et d’autres ponctuelles. Parmi les permanentes, il y a celles favorisant le sport, le soutien aux clubs sportifs pour les enfants et les jeunes, celles culturelles tels que concerts, films et soutien à certaines écoles. Et enfin des activités sociales comme le soutien au home pour personnes âgées. Nous faisons aussi des collectes. Nous avons aussi chaque année un concours de dessin en l’honneur de Paul Gerber et nouvellement un festival de cinéma». Judith rajoute « ces activités visent en particulier la jeunesse. Par exemple dans l’activité pour le home pour personnes âgées, les jeunes participent en apportant des choses, en partageant des activités avec les personnes âgées ou en donnant simplement du temps. Ainsi cela bénéficie à toute la communauté ».Et Giovanni de renchérir : « nous avons aussi des activités ponctuelles : faire venir à San Marcos des groupes musicaux, tels que l’orchestre juvénile, l’orchestre symphonique de Masatepe ou de Granada ou offrir aux enfants des classes de musique en collaboration avec un projet national d’enseignement de la musique classique pour les enfants. A San Marcos se sont 120 enfants qui ont pu bénéficier de ces classes avec des professeurs. Nous avons même organisé à San Marcos le festival international de Jazz !». Il faut rajouter que le groupe a réussi à collaborer avec un projet de développement latino-américain et une fondation japonaise. Toutes ces activités avec l’aide d’un budget modeste octroyé par le Jumelage à Bienne et les collectes qu’il organise. Cependant Oscar rajoute « la forme dans laquelle le Jumelage naît en 1986, les conditions sociopolitiques dans lesquelles il voit le jour et le soutien d’alors à la ville de San Marcos tout cela est aujourd’hui bien différent : nous n’avons plus la guerre, nous n’avons plus ces conditions sociopolitiques si dures et l’intérêt pour le jumelage change aussi. Aujourd’hui les tendances vont davantage vers le sport, les activités culturelles et le domaine social. Et nous aimerions que cela continue ainsi. »
Mais quels sont les critères du groupe pour soutenir ou non un projet ou une activité : Oscar : «nous ne soutenons pas des individus, le projet doit avoir un caractère social, doit bénéficier à plusieurs personnes ou groupes de personnes : le club de Volley-ball pour les jeunes, le concours de dessin pour les enfants, le home pour personnes âgées. On nous fait une demande et nous évaluons son caractère social et combien de personnes pourraient bénéficier d’une telle activité »
Il faut quand même aborder un point sensible (ou qui pourrait l’être). C’est Bienne qui fournit les moyens financiers permettant l’existence du groupe. Les relations d’argent peuvent créer des situations conflictuelles, de pouvoir ou de hiérarchie. Il est donc nécessaire de poser la question des rapports entre Bienne et le groupe de San Marcos. Judith « Elle sont bonnes. Nous avons une totale indépendance pour décider de quels projets nous pouvons soutenir jusqu’à un certain montant. Si la demande dépasse ce montant, nous faisons une réunion avec les responsables à Bienne et après que chacun-e ait donné son point de vue nous décidons. Et Giovanni de renchérir : « si c’est vrai que l’argent vient de Suisse, il est important que nous travaillons d’égal a égal et que nous nous respections. Nous donnons notre temps, nous sommes bénévoles et travaillons dur et investissons notre énergie pour ces activités. Dans ce sens et j’en suis très content, nos relations sont horizontales. La verticalité n’est pas la solidarité, c’est la charité. Nous travaillons dans la solidarité et non pas la charité. »
Mais depuis ces 5 ans d’activité, quel bilan tirent-ils de leur engagement ? Giovanni «Quand les élections ont été perdues en 1990, le jumelage était un peu endormi. Nous avons alors fait de la publicité pour le Jumelage à l’aide d’une page Face Book et un Logo. Les gens ont commencé à réaliser que ce jumelage existe et les demandes de soutien ont commencé à pleuvoir. Le jumelage a gagné en aura. Même les enfants qui participent au concours de dessin disent qu’ils veulent appartenir au jumelage, qu’ils veulent aller en Suisse et connaître les suisses qui viennent ici».
Le gouvernement nicaraguayen souhaite avoir un contrôle sur les multiples ONG qui agissent au Nicaragua. Ce qui est normal pour un gouvernement souverain sur son sol. Ainsi, quelles sont les relations du groupe avec les autorités locales ? Judith répond : «pour mener à bien nos activités nous avons besoin, dans certaines circonstances de l’autorisation de la Mairie, si nous occupons l’espace ou des édifices publics par exemple. Ils nous ont toujours appuyé et facilité la tâche. Dernièrement, lors du festival de cinéma la Mairie a fourni les chaises et les véhicules. »
Enfin, comment voient-ils leur apport au Jumelage de Bienne ? Giovanni : «certes nous n’avons pas d’argent, mais nous pouvons apporter notre culture. La Suisse est un pays qui a une population plutôt âgée, nous sommes un pays de jeunes. Nous pouvons échanger nos opinions, notre manière de voir la vie, nos traditions culinaires. Et lorsque les gens de Bienne viennent ici à San Marcos, nous tenons à leur montrer comment nous vivons. Par exemple comment nous vivons en famille, parents, enfants, cousins, tantes, oncles etc. tous dans une seule maison, alors qu’en suisse les gens vivent plutôt isolés».
Les raisons de s’engager pour le bien commun ne sont pas si différentes ici ou là-bas. Ce qui change se sont les conditions dans lesquelles cet engagement s’opère. Les besoins de base sont importants, les moyens du gouvernement limités. Il représente une sorte de mouvement social permettant à des individus de s’engager sur des thèmes ou des actions. Ce groupe a fait une exacte évaluation de ce qu’il peut apporter, où et comment. Il a choisi d’investir ses forces dans des activités culturelles, sociales ou sportives. Des activités qui permettent, même si elles sont modestes, de développer la créativité et qui apportent une ouverture sur le monde. Dessin, musique, cinéma, sport ne sont pas des produits de luxe réservés à une élite, ils doivent être mis à disposition de tous. C’est ce que fait le jumelage à San Marcos et ils peuvent être fiers d’eux.