Les conversations carbone visent la réduction de l’empreinte carbone individuelle par l’ajustement de son mode de vie à la crise écologique actuelle. Au travers de six soirées de deux heures, réparties sur trois mois environ, les participant.e.s accomplissent, accompagnés par deux facilitateur.trices, un voyage dans leur mode de consommation énergétique. Cette méthode est axée sur les aspects psychologiques du changement climatique.
Développée il y a une dizaine d’année par Rosemary Randall et Andy Brown, respectivement psychothérapeute et ingénieur britanniques, les conversations carbone combinent l’apport d’informations scientifiques sur le changement climatique et un travail sur soi. Afin de comprendre et être capable d’accueillir les changements nécessaires à la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, le travail personnel s’appuie sur la dynamique du groupe, qui entraîne et renforce le changement. De l’énergie à la maison, à la mobilité, en passant par l’alimentation et la consommation, le processus des conversations carbone permet une compréhension de la complexité de nos modes de vie et à quel point ils sont liés à une consommation énergétique insoutenable. D’autre part, il permet de saisir dans quelle mesure les changements individuels requis sont hautement émotionnels.
Mais pourquoi changer ?
Trois chiffres éloquents suffisent à poser le cadre : l’empreinte carbone moyenne d’un. e suisse.sse est de 13,8 tonnes de CO2* par an, la moyenne mondiale étant de 4 tonnes et celle d’un mode de vie durable pour tous et toutes de 2,5 tonnes par citoyen (si on se base sur la population mondiale actuelle). Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous vivons au-dessus de nos moyens et qu’il est urgent de remettre en question nos modes de vie axés sur la consommation énergétique intensive issue de carburants fossiles. 2,5 tonnes : c’est à peine plus qu’un vol aller-retour Genève-New York qui génère environ deux tonnes de CO2. C’est la moitié de ce qu’émet une suisse.sse pour sa consommation annuelle de biens non alimentaires (habits, objets électroniques et ménagers, voyages, etc.). Au-delà des chiffres, la méthode pose une question centrale : quels sont les moyens susceptibles de nous amener à accepter cette réalité et ainsi, à effectuer des changements en conséquence dans nos vies quotidiennes ?
En effet, les questions abordées pendant ces soirées vont plus loin que le fait de fermer le robinet d’eau en se brossant les dents. Prendre conscience que ma consommation énergétique est 2, 3, 10 ou 20 fois plus élevée que ce qui est vivable à terme n’est pas agréable. Cela met chacun.e devant des responsabilités et des questions complexes. L’objectif est ainsi de fournir un support et un cadre adéquat pour aider à accepter l’idée du changement, faire baisser les résistances et finalement engager les changements nécessaires. Le bilan carbone est mesuré au départ et la méthode vise à encourager les participants à s’engager à baisser leurs émissions de moitié environ sur quelques années.
Mais comment changer ?
Derrière l’empreinte carbone se cachent des comportements, des habitudes individuelles et sociales complexes. Depuis plusieurs décennies, de nombreux acteurs sensibilisent et informent sur les catastrophes écologiques en cours et tentent d’amener les citoyens à modifier leurs habitudes pour plus de durabilité. Mais il est bien connu aujourd’hui que le fait d’informer ou d’alarmer sur les catastrophes ne produit pas ou peu l’effet escompté. En effet, chercher à faire réagir en faisant peur peut paradoxalement démobiliser, en particulier si l’information reçue n’est pas suivie d’actions concrètes. « Il y a trop à faire », « Je ne vais pas sauver le monde à moi tout seul » se dit-on alors. Désirs conflictuels, sentiment d’impuissance, déni, découragement sont des réactions typiques et en quelque sorte normales face à la gravité des informations transmises.
Les conversations carbones répondent à cet écueil en permettant aux participants de mettre en lien des sources sûres d’information avec leur quotidien, à réfléchir, échanger et partager avec le groupe sur leurs stratégies personnelles et, finalement, à s’inspirer de l’engagement des autres. Plus loin encore, les conversations carbones favorisent un travail personnel et de réflexion sur les motivations profondes afin de remettre en question certaines habitudes, ceci dans un cadre bienveillant.
Mais changer quoi exactement, si ce n’est son thermostat ?
Modifier une habitude peut s’avérer en pratique plus difficile qu’il n’y paraît au départ. Comme pour perdre du poids ou apprendre un instrument de musique, introduire de nouvelles façons de vivre et de consommer durables dans son quotidien nécessite quelques prérequis. Pour diminuer sa consommation de viande, réduire sa mobilité ou son chauffage par exemple, il est utile d’être au clair soi-même sur la raison et les motivations qui nous amènent à vouloir effectuer ce changement. Cela s’avérera utile lors de phases de découragement. Car si l’objectif est clair, la motivation peut, elle, fluctuer au cours du temps et des circonstances. Les conversations carbones donnent les informations, le temps et le cadre nécessaire pour mener une réflexion profonde sur nos représentations du changement climatique, nos valeurs écologiques et les relier avec notre quotidien. Une clé sur laquelle s’appuie la méthode est le travail sur les valeurs. Accorder sa vie à ce moteur profond que sont les valeurs permet de transformer des émotions paralysantes (peur, tristesse, culpabilité) en moteur vers l’action (espoir, joie, colère…). Ceux-ci nous donnent envie de réagir, d’agir, de contribuer, d’oser, d’inventer.
Passer à l’action
Comment se passe une conversation carbone concrètement ? Chaque soirée aborde un thème de consommation différent. On y alterne des exercices, des jeux, des conversations en groupe ou en binôme. Par exemple, un brainstorming créatif sur les avantages et les désavantages d’un monde « décarboné » (exempt d’utilisation d’énergies fossiles). Mais aussi en contrepartie la peur de perdre sa liberté, moins de voyages, moins de choix ? Des jeux sont aussi présents comme forme pédagogique de transmission d’informations complexes sur les enjeux énergétiques. Puis il y a des séquences d’échange à deux pour mesurer la complexité de certains thèmes, comme celui de la centralité de l’alimentation carnée dans nos modes de vie. Ces moments sont suivis d’un partage en groupe où les échanges, voire prise de conscience de chaque binôme peuvent être exprimés.
Elle vise un public ayant une empreinte carbone élevée et désirant trouver des pistes afin de « faire quelque chose pour la planète ». Mais elle peut être utile à toute personne intéressée par le thème, quel que soit son avancement sur le chemin de la sobriété heureuse, et pourra idéalement faire germer de nouveaux projets pour aller plus loin. Les conversations carbone pourraient être décrites comme une forme d’incubateur d’engagement écocitoyen.
Changement individuel versus changement collectif ?
Les conversations carbone ne stipulent pas que la transition sociale et écologique passera uniquement par le changement individuel en faisant porter toute la responsabilité de celui-ci aux citoyens. Une étude récente française (https://reporterre.net/IMG/pdf/publication-carbone-4-faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf) montre d’ailleurs que des comportements écocitoyens « héroïques » permettraient de réduire l’empreinte carbone individuelle de 25% seulement. Ainsi, les individus sont limités dans leurs efforts par un contexte politique, social, technologique dont ils dépendent. Par exemple, il n’existe pas d’offre de mobilité douce partout. L’effort individuel doit ainsi être doublé par celui des entreprises et des collectivités publiques qui doivent contribuer massivement aux changements, par exemple en désinvestissant de l’industrie des énergies fossiles.
Toutefois, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de levier de ces 25% d’efforts individuels héroïques. Une personne qui réduit son empreinte carbone minimise et modifie de fait sa consommation, donc la demande, ce qui immanquablement se répercute sur l’offre. Par ses réflexions et les changements effectués, elle touchera peut-être son entourage en le faisant réfléchir à d’autre façons de faire. Forte de ces prises de conscience sur une vie décarbonée et pleine de sens, elle sera davantage encline à s’engager collectivement… et peut-être à réclamer ou contribuer à des politiques qui respectent la vie sur terre. Et si le changement individuel menait inévitablement au changement collectif ? Alors le colibri aurait la force d’inspirer tous les autres animaux dans son élan pour sauver la forêt des flammes.
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*Comprend aussi les émissions de gaz à effet de serre n’étant pas du CO2 (méthane, protoxyde d’azote…), traduites en équivalent CO2
Sophie Perdrix est psychologue et facilitatrice pour les conversations carbone à Bienne, membre de Transition Biel/Bienne et Vision 2035
Conversations carbone à Bienne
Prochaine session en français (il restent des places!):
lundi 12 octobre, vendredi 23 octobre, vendredi 13 novembre, vendredi 20 novembre, vendredi 4 décembre, vendredi 18 décembre
Lieu: Ruelle de la Fabrique 1, Coopérative d’habitants FAB-A, 2502 Biel/Bienne. Salle au rez-de-chaussée
Horaire: 18:00 – 20:00
Facilitation: Sophie Perdrix et Guy Bovet
Inscription: https://conversations-carbone.ch
Prix : 50 Frs minimum par personne. Une contribution supplémentaire est libre et l’entier de la somme revient à l’association des Artisans de la transition afin de développer les conversations carbone en Suisse romande.
3 questions à… 4 participants aux conversations carbone à Bienne
Pourquoi t’es-tu inscrit.e aux conversations carbone?
Stéphane : Je me suis inscrit afin d’échanger et de découvrir des pratiques et des modes de vie à faible impact carbone à adopter. Je souhaitais aussi rencontrer de nouvelles personnes qui partagent les mêmes valeurs : la protection de l’environnement, l’évolution essentielle de notre société et de nos modes de consommation pour assurer un avenir viable et durable à la communauté.
Pascale : Après avoir suivi une formation de « Travail qui relie » à Fribourg avec Michel Maxime Egger et Pain pour le prochain, j’ai eu envie d’aller plus loin dans la réflexion sur notre consommation, nos comportements et les conversations carbone me semblaient être une bonne façon de continuer la réflexion.
Jacqueline et Daniel : Pour se relier à d’autres personnes poursuivant les mêmes buts que nous. Pour s’enrichir de ces contacts et s’encourager mutuellement à poursuivre nos actions.
Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?
Jacqueline et Daniel : Elle nous a amené plus de clarté sur des sujets spécifiques liés à notre quotidien (valeur carbone des produits de consommation, de nos déplacements, etc.) mais également une meilleure compréhension de l’économie du carbone. Nous disposons maintenant de connaissances pratiques plus étayées pour diffuser ces informations dans nos cercles.
Stéphane : Elle m’a permis de chiffrer mon empreinte carbone sur plusieurs thèmes (alimentation, mobilité, consommation d’énergies, de biens, de services, …). Alors confronté à la réalité des impacts associés, que j’ignorais ou sous-estimais, je me suis positionné sur ce que je changeais immédiatement, puis à moyen terme. Par les riches discussions, j’ai aussi étoffé mes connaissances sur divers sujets. Elles ont aussi mis en exergue les intérêts, contradictions, freins et motivations de chacun, qui ouvrent l’esprit à la complexité du comportement humain.
Pascale : J’ai rencontré des personnes de la région biennoise intéressées et préoccupées par les mêmes enjeux. J’ai aussi maintenant l’impression de ne pas être seule dans la région à être préoccupée par notre avenir et celui de nos enfants et petits enfants.
3) Quels changements as-tu effectué suite aux conversations carbone?
Pascale : J’argumente de façon différente, je réponds à certains climato-sceptiques en étant moins dans la confrontation et davantage dans l’écoute, avec des réponses plus ciblées, susceptibles d’être entendues. J’effectue encore moins de kilomètres « carbone » et plus de marche. Je mène une réflexion sur mon alimentation. Et surtout maintenant j’ai envie de rencontrer les gens impliqués dans la transition et d’agir, agir, agir dans le respect de la Terre, en emmenant d’autres personnes dans cette démarche.
Stéphane : Sur ma consommation alimentaire, j’ai réduit la part de produits d’origines animales. J’achète maintenant des produits principalement non transformés et en vrac. Je suis aussi attentif à l’origine des aliments et donne la priorité à ceux issus de Suisse ou de pays limitrophes. Désormais, pour l’acquisition de biens, je cherche d’abord parmi ceux d’occasion. A défaut, si j’achète des articles neufs (livres, jeux, jouets, vêtements) je n’accepte presque plus ceux qui viennent de l’extérieur de l’Europe sauf lorsqu’aucune alternative n’existe.
Jacqueline et Daniel : Nous avons envie de participer à la diffusion des conversations carbone dans notre région en devenant nous-même facilitateurs pour les conversations carbone.