Faire ses courses à la Mini-Fève à Meyrin, le petit magasin-test du futur Supermarché Participatif Paysan la Fève, c’est expérimenter un tout autre mode de consommation. On tente quotidiennement de réinventer nos liens à la nourriture et à ceux et celles qui la produisent. On y apprend petit à petit à être un consommateur plus responsable et averti.
La Mini-Fève n’est pas un magasin comme les autres. Pour tout visiteur qui s’y introduit sans le connaître, la convivialité y est frappante et les repères pour le moins perturbants : « pourquoi ce ‘client’ qui fait la queue passe-t-il de l’autre côté de la caisse ou pourquoi cette ‘cliente’ m’accueille-t-elle avec un grand sourire ? » A la Mini-Fève chaque membre de la Coopérative est à la fois simple consommateur et travailleur dans le magasin, ce qui modifie profondément le lien à la consommation.
Comme le rappelle Benoît Molineaux, membre du Comité d’Administration du SPP, le supermarché de la Fève est un projet de transition : « Nous ne souhaitons pas pousser à la consommation, mais nous sommes heureux si nos membres consomment moins et mieux (i.e. des produits de meilleur qualité) ». Alors que dans la grande distribution, le visuel marketing est fait pour inciter à la consommation et qu’une grande partie des achats des consommateurs sont d’ordre compulsif et non prévus avant l’entrée en magasin, les supports de communication à la Mini-Fève cherchent à informer et à conscientiser nos consommateur-trice-s. Donner accès à l’information, sensibiliser, donner la possibilité d’acheter en conscience : Autant d’enjeux de taille pour bâtir un projet alimentaire citoyen, basé sur la transparence et le lien entre les mangeur-se-s et les producteur-trice-s.
Depuis son ouverture le 9 juin 2018, ce petit magasin, qui se veut un projet d’envergure, est un lieu d’expérimentations multiples. Çà et là apparaissent des supports d’information et de dialogue, comme le classeur de suggestions des produits, les étiquettes de parrainage ou encore des commentaires de membres sur des produits « discutables ». Car la Mini-Fève appartient à chacun-e de ses membres : les besoins et avis des un-e-s et des autres sont bienvenus pour nourrir le débat et la réflexion collective. Chaque membre peut demander par l’intermédiaire d’une fiche les produits qu’il ou elle souhaite avoir dans le magasin. Chaque membre peut parrainer ses produits favoris et peut même les présenter (conditions de production, qualité des ingrédients, projet coopératif…) dans un classeur prévu à cet effet. Lancé par Reto Cadotsch, paysan et fondateur de nombreux projets de souveraineté alimentaire à Genève, le système de parrainage permet de matérialiser l’appropriation du magasin par ses membres et de rendre visibles les liens entre les consomm’acteur-trice-s qui partagent ainsi leur coup de cœur et leurs produits favoris.
Être consomm’acteur-trice à la Mini-Fève, c’est encore acheter en conscience et adapter sa liste de courses aux aléas de la production agricole, comme à ceux du magasin. Lorsqu’un produit arrive à péremption, une étiquette « Mangez-moi vite » est posée en vue sur l’étalage. Du côté de nos paysans participatifs, en cas de récolte abondante de légumes, les membres sont informés sur l’ardoise des « Grandes abondances » du besoin d’écouler rapidement les stocks pour éviter les pertes en champs. Pour créer des ponts entre les réalités paysannes et la vie citadine des mangeur-euse-s, un bulletin paysan est publié par courriel deux fois par mois pour annoncer les légumes à venir et donner des nouvelles des champs : on peut y expliquer par exemple que les poules pondent moins car elles ont chaud ou encore que les tomates aient eu un coup de froid et peinent à mûrir… Des ardoises illustrées expliquent également le contrat de culture entre les paysans participatifs et la Mini-Fève et mettent en avant tel ou tel légumes anciens ou peu connus. Ainsi les betteraves « Cioggia », variété napolitaine à rayures roses et blanches, ont commencé à se vendre quand elles ont été mises en avant avec une suggestion de recette et une dégustation.
A la Fève, on tente d’inverser le système : plutôt que suivre les lois de l’offre et de la demande qui fragilisent les paysan-ne-s, nous fonctionnons sur contrat annuel de cultures et nous engageons à écouler les quantités récoltées. Les membres sont donc partie prenante de ce contrat qui permet aux paysan-ne-s de planifier à l’année et d’assurer leurs revenus. Mais comment leur faire comprendre ce tout nouveau système ? Comment inciter leur engagement et une part de responsabilisation ? Car en tant que membre contractuel de la Fève, ils font aussi partie du contrat de cultures paysan. Pour toucher, convaincre et engager, les mots ont leur importance. Des mots qui suscitent la solidarité notamment et rappellent ce lien réciproque entre celles et ceux qui produisent et celles et ceux qui consomment. Le marketing de la grande distribution mise tout depuis des années sur le « soutien » à la paysannerie : un terme qui agace plus d’un-e paysan-ne, car il les place en « minorité » qu’il faudrait aider, un peu comme s’ils étaient en voie de disparition…
A la Fève, nous clamons haut et fort que ce sont en réalité les paysan-ne-s qui nous soutiennent, car ils nous nourrissent tout simplement. Dans les courriels d’information aux membres, dans la newsletter et sur nos ardoises, nous mettons donc en avant le terme de « collaboration » : « Collaborons avec nos paysan-ne-s, suivons le contrat de culture ! », « Honorons notre engagement en mangeant les légumes qui poussent en abondance dans les champs ». Du coup, on teste, on tâtonne avec des mots qui, on l’espère, touchent nos membres et suscitent leur engagement : « Solidarité du champ à l’assiette : achetons solidairement ce qui pousse en abondance dans les champs ! ». On cherche la réciprocité, la mise sur un pied d’égalité des mangeur-euse-s et producteur-ice-s par des effets miroir : « Paysans solidaires, ils prennent soin de notre terre ; mangeurs solidaires, ils mangent au rythme des cultures ».
Et concrètement sur le terrain quotidien du magasin, quels effets ont ces mots ? Au printemps dernier, on lançait un appel à la solidarité « Sauvons les colraves ! ». Entre 30 et 50 kg de colraves de la Ferme des Verpillères devaient être récoltés et consommés dans la semaine, au risque de devenir ligneux et immangeables. On a donc mobilisé nos membres avec la notion de « sauvetage » de légumes et ça a marché ! En deux jours, le stock était écoulé, à la grande déception de plusieurs d’entre nous, dont Sylvia, qui aurait voulu « en acheter plus pour ses copines ». Cependant, pour éviter les notions de « sauver » et « venir en aide » qui rappellent tout de même le « soutien » de la grande distribution, le bulletin est un bon outil, car il anticipe et privilégie la notion d’ « engagement ». Et les membres sont demandeur-se-s de ce genre d’info : le bulletin a été mis en place pour donner suite à plusieurs demandes pour savoir en avance quels allaient être les légumes livrés et ceux à consommer en priorité.
Membre active depuis le début, Myriam témoigne des changements dans sa manière de consommer : « Avant je n’achetais que ce qui me faisait plaisir, maintenant je regarde attentivement les produits « Mangez-moi vite » et les légumes des « Grandes abondances », car je sais que si je n’achète pas, ça va être jeté. Ça nous donne bonne conscience et de toute façon, chez moi on est nombreux, je sais que ça va être mangé ». Pour Marie-Emmanuelle Ezan, co-présidente de la Fève, cette notion de « bonne conscience » est importante, car en faisant du bien au consomm’acteur-trice, elle lui permet de se sentir engagé et actrice du projet. Car en définitive faire ses courses à la Mini-Fève, c’est comme partout ailleurs acheter des aliments, mais pas seulement… c’est manger des aliments faits de liens qui nous nourrissent.
Lucie Buttex est responsable de la cohésion des membres au sein du SPP-La Fève et est active dans le réseau paysan genevois (Tournerêve, MAPC, Jardins de Cocagne).